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car le gouvernement, malgré la réclamation des états-généraux, ne fît jamais un traitement fixe aux parlementaires. Lorsque le premier acquéreur résignait sa charge, il transmettait à l’acheteur les droits, émolumens et privilèges qu’elle comportait. En cas de suppression, le prix d’achat était remboursé. Un pareil trafic mettait à la merci du premier venu l’honneur, la liberté, la vie des justiciables, « il ouvrait, comme l’a dit le chancelier de L’Hospital, le sanctuaire des lois à ceux qui se présentaient à sa porte avec une ceinture garnie d’or, et donnait aux ignorans et aux indignes ce qui ne devait appartenir qu’au mérite et à la vertu[1]. » Il fallait, en effet, avoir une ceinture bien garnie, surtout quand on aspirait aux fonctions supérieures, car de toutes les marchandises elles étaient de beaucoup les plus chères. Dans les dernières années du XVIIe siècle, la charge d’avocat général à Paris était cotée 350,000 livres ; celle de lieutenant criminel dans la même ville, 400,000 livres ; celle de président à mortier 500,000.

A dater de Louis XII, le gouvernement, chaque fois qu’il fut à bout de ressources et de crédit, ce qui arrivait souvent, battit monnaie avec les offices de judicature. Ce genre de spéculation fut exploité en grand par François Ier, Henri II, Henri III, et prit sous Louis XIV un développement extraordinaire. Dans une période de huit années, de 1689 à 1697, le grand roi vendit dans les cours souveraines et les sièges inférieurs pour 23,029,355 livres d’offices, tous plus inutiles les uns que les autres ; sur cette somme, les référendaires au présidial du Puy figurent pour 1,676,166 livres ; les gardes-séels des sentences pour 3,166,666 livres ; les chevaliers d’honneur des présidiaux pour 542,297 livres. Le reste était à l’avenant. Après avoir créé de nouvelles charges dans les anciens tribunaux, on créait de nouveaux tribunaux, et souvent pour tirer, comme on disait au XVIe siècle, plusieurs moutures du même sac, on divisait le même office en plusieurs parts qui se négociaient en détail sous le nom d’offices semestriels, bisannuels, triennaux ou quadriennaux. Les conséquences funestes de cette exploitation n’échappaient pas au gouvernement, et il essaya plusieurs fois d’y mettre un terme. Louis XII, qui avait assisté comme prince du sang aux états de 1483, n’oublia pas leurs doléances. Lorsqu’il fût devenu roi, en 1498, il prohiba la vénalité, mais il y revint en 1508 pour

  1. On trouve sur la vénalité et les attaques dont elle a été l’objet de curieux détails dans le livre de M. Picot, Histoire des états-généraux, Paris, 1872, 4 vol. in-8o, t. I, pp. 435, 437, 441 ; II, 118, 210, 463 ; III, 173 ; IV, 7, 8, 89 et passim. Ce livre donne, pour la première fois, la référence des cahiers des états avec les ordonnances royales. C’est là un travail du plus grand prix, qui jette un jour nouveau sur l’histoire du droit public.