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que la magistrature royale regardait comme étant de son ressort. C’était un chaos inextricable que les rois, les ministres, les jurisconsultes s’efforçaient en vain de débrouiller. Au moment de la révolution, les choses, sous le rapport des compétences, de la multiplicité des sièges, des conflits de juridiction, étaient encore dans le même état qu’à la fin du XVIe siècle. Dans une seule petite ville, cent six personnes étaient occupées à rendre la justice, et cent neuf autres à faire exécuter leurs arrêts. Ce n’étaient cependant pas les lois et même les lois très sages qui manquaient, mais sous l’ancien régime elles semblaient n’avoir été faites, que pour rester lettre morte, et tandis que les rois travaillaient d’une main à perfectionner les institutions judiciaires, ils y introduisaient de l’autre des élémens qui ne faisaient que les corrompre.


III

En parcourant les recueils des anciennes ordonnances, on est frappé du grand nombre d’actes législatifs qui se rapportent à la magistrature, aux parlemens et à toutes les autres juridictions. Il y a là comme une sorte de tradition idéale qui se perpétue à travers les âges, et qui paraît justifier ces paroles de l’un de nos vieux publicistes : « Tous les princes de la chrétienté sont en leurs séels armez à cheval, l’espée au poing comme conquérans ; le nostre seul est assis en un trône fleurdelysé, en habit de roy justicier, ayant une robe longue, le sceptre de justice en une main, le royal de l’autre, voulant par là monstrer qu’ils estiment la justice et non les armes estre le lien du royaume[1]. » Les principes tutélaires qui font aujourd’hui la dignité du magistrat sont affirmés dès l’origine même de la troisième race, comme ils l’avaient été déjà sous les dynasties franques. Philippe-Auguste, saint Louis, Philippe le Bel règlent dans les moindres détails les devoirs des baillis et des prévôts[2]. Ils leur défendent d’employer de vils moyens pour obtenir leurs offices, d’exercer dans les lieux où ils sont nés, — sage précaution qu’il serait bon de faire revivre, — de recevoir des présens, autres que du vin et des vivres, d’en faire aux membres du conseil du roi, d’emprunter aux habitans de leur ressort, d’y acquérir des immeubles, et, comme ils savent qu’ils ont affaire à des hommes pour la plupart rudes et grossiers, ils veulent qu’à l’expiration de leurs charges ils restent quarante jours sur les lieux où ils ont instrumenté, et qu’ils constituent un procureur pour recevoir les plaintes qui pourraient être portées contre eux. Des mesures analogues sont prises par

  1. Du Haillan, De l’estat des affaires de France. Paris, 1570, p. 93.
  2. Isambert, Anciennes lois, t. I, pp. 254, 267, 345 ; II, 759 ; III, 71 ; V, 644.