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représentait son autorité spirituelle ; — la justice municipale ; — la justice féodale du roi, qui s’exerçait en raison de la suzeraineté, et la justice royale, qui s’exerçait en raison de la souveraineté. Toutes ces juridictions ont une magistrature qui leur est propre, et dès la fin du XIe siècle, la royauté, qui représente l’état, entreprend à leur égard le même travail unitaire et centralisateur que pour les finances, l’armée et la formation du royaume, travail immense qu’elle laissera inachevé et que la révolution seule pourra mener à bonne fin, en faisant disparaître la diversité des castes et en établissant l’unité administrative, impossible à réaliser, sans un remaniement radical et universel, dans un pays qui n’offrait qu’un assemblage confus de provinces séparées entre elles par leurs coutumes, leurs douanes intérieures, leurs privilèges, — de pays de droit écrit et de droit traditionnel ; de pays d’états et de pays d’élections, de villes de communes, de villes de loi, de bonnes villes, de villes seigneuriales, où la condition des personnes changeait suivant les lieux. Comment la magistrature de l’état est-elle sortie de cet enchevêtrement ?


II

A l’origine de la troisième race, la justice du souverain et celle du suzerain se confondent. Elle s’exerce par les plaids de la porte, la cour féodale, les officiers de la couronne et le parlement. Les plaids de la porte[1] étaient tenus par trois juges pris parmi les membres de la haute noblesse ou les dignitaires du palais. Ils avaient lieu, comme leur nom l’indique, à l’entrée ou aux abords des demeures royales. Lorsqu’il se présentait des questions graves, on en référait au roi, « qui les vidait bonnement. » Saint Louis, pour abréger les procès, donnait personnellement audience aux plaideurs, au pied du célèbre chêne de Vincennes, ce qui n’était du reste qu’un usage renouvelé des deux dynasties franques ; tous ceux qui voulaient en appeler à son équité « venaient, dit Joinville, à lui parler, sans qu’un huissier ou autre leur donnât empêchement, et demandait hautement de sa bouche s’il y avait nul qui eût partie. » La cour féodale, composée des grands vassaux qui jugeaient les hommes de leur rang, pares, connaissait de toutes les causes que soulevait la mouvance des fiefs. Elle était investie d’une double juridiction, l’une arbitrale, à laquelle les

  1. Sur les plaids de la porte, Du Cange, Troisième dissertation sur Joinville, — et sur le pouvoir judiciaire des rois à l’origine de la dynastie capétienne, Beugnot, Introduction aux olim, t. I, préf. XXVI et suiv. Ce travail de M. Beugnot est l’un des plus solides de l’érudition contemporaine.