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n’aurait ici d’autre résultat qu’une alternance de pléthores et de disettes ; son intervention négative, en assurant l’exécution des marchés, assure le mouvement de la vie. Il suffit donc d’un concours d’hommes dont pas un n’élève les regards au-dessus de ses intérêts particuliers pour réaliser ce que ne réaliserait pas la philanthropie d’un sage ou la vigilance désintéressée d’un gouvernement.

— Sans doute, dira-t-on, quand il s’agit de besoins matériels, les efforts que font les individus sous l’aiguillon de l’intérêt personnel sont suffisans, mais quand il s’agit de besoins d’un autre ordre, il n’en est plus de même. — M. Spencer répond qu’il est faux de croire qu’en dehors de l’intérêt particulier il n’existe qu’une force sociale, celle du gouvernement ; les hommes n’ont-ils pas, outre leurs besoins égoïstes, des besoins sympathiques, et ces derniers, soit qu’ils agissent isolément soit qu’ils s’associent, ne produisent-ils pas des effets aussi admirables que ceux des intérêts personnels ? Voulez-vous connaître les effets sociaux de la sympathie, soit isolée, soit associée, voyez toutes les œuvres de religion, de philanthropie, d’instruction, dues à l’initiative des individus ou des associations particulières. Intérêt et sympathie, ces deux forces suffisent, à en croire M. Spencer, pour satisfaire à tous les besoins du corps politique comme à tous les besoins du corps vivant. Que le gouvernement, encore une fois, se borne donc à remplir une fonction vraiment analogue à celle du cerveau, qu’il soit le représentant et le pondérateur de tous les intérêts et de toutes les sympathies, avec la justice pour loi. Dans le cerveau de l’animal se produit une véritable délégation ou représentation du corps entier, qui doit servir de modèle au gouvernement ; en effet, c’est au cerveau que tous les organes envoient leurs avertissemens, centralisent leurs jouissances et surtout leurs souffrances, manifestent leurs besoins, leurs perturbations ou leur équilibre. Les cellules cérébrales sont comme les représentans des autres cellules, qui viennent s’exprimer en elles sous la forme des sensations ou des pensées, et qui attendent d’elles en retour des ordres nécessaires sous forme de volitions ; l’organisme tout entier se résume donc dans le cerveau. Or la fonction normale de ce dernier, « c’est de prendre la moyenne entre les intérêts qui se produisent chez le vivant : intérêts physiques, intellectuels, moraux, sociaux. » De même la fonction d’une assemblée de représentans doit être « de prendre la moyenne entre les intérêts des différentes classes de la communauté. » Dans une bonne assemblée, les partis qui correspondent à ces divers intérêts doivent se faire un tel « équilibre qu’à eux. tous ils produisent dés lois concédant à chaque classe tout ce qui se peut sans faire tort aux droits des autres,[1]. » Si une assemblée,

  1. Spencer, Essais de politique, page 191.