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il est donc, selon nous, complet au point de vue de la physiologie, et on peut l’appeler, si l’on veut, un individu physiologique. Faut-il aller plus loin encore et lui attribuer au point de vue psychologique une individualité véritable, un moi, une conscience de soi analogue à celle qui atteint dans la personne humaine sa plus haute expression ? C’est là une tout autre question, qui, à cause de sa difficulté et de son importance, réclame un examen spécial : nous y reviendrons dans une prochaine étude. Aujourd’hui, nous devons chercher les conséquences les plus générales qui dérivent, soit pour la cosmologie, soit pour la politique, de l’assimilation que nous venons d’établir entre les sociétés et les êtres vivans.


III

S’il est vrai que l’être achevé aide à comprendre l’embryon, la société devra nous aider à mieux comprendre les autres êtres dont est formée la nature, les lois les plus fondamentales qui les régissent et même leur essence intime. C’est vraiment à la société qu’on peut donner le nom de microcosme.

Toute société est, nous l’avons vu, un concours qui commence mécaniquement par l’égoïsme et la sympathie, et qui s’achève moralement par le consentement des volontés ou, chez les êtres supérieurs, par le contrat. Mais qu’est-ce que l’égoïsme et la sympathie eux-mêmes, sinon les premières manifestations de la volonté ? Celle-ci, après s’être voulue d’abord exclusivement, veut ensuite les autres volontés pour soi, et enfin arrive à les vouloir pour elles-mêmes. Ce n’est pas sans raison que le langage appelle d’un seul nom la concordance sympathique des sentimens et le concours réfléchi des volontés : consensus. C’est la volonté sous ses diverses formes, — inconsciente, consciente, égoïste, altruiste, — qui fait le fond de toute société. Nous croyons qu’il faut aussi considérer la volonté comme l’élément de tout organisme. À ce point de vue, nous proposons de distinguer, dans la théorie générale du monde, trois degrés d’organisation : en premier lieu celui où les volontés, encore complètement aveugles et complètement égoïstes, agissent chacune pour soi comme si les autres n’existaient pas : c’est le minéral ; en second lieu, celui où les volontés commencent à se sentir mutuellement et à s’unir, mais par voie de sympathie encore toute mécanique : c’est le végétal et l’animal ; en troisième lieu, celui où les volontés, devenues intelligentes et maîtresses de soi, se connaissent mutuellement et s’unissent par un lien supérieur, par le consentement ou le contrat : c’est la société humaine, qui tend à être un organisme volontaire ou contractuel. Nous obtenons ainsi une réconciliation finale entre la théorie naturaliste de l’organisme