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perfectionnées du cerveau, qui n’est lui-même qu’une vertèbre grossie et devenue dominante. Dans cette partie supérieure de la nation s’élaborent un ensemble d’idées et une suite de résolutions qui sont ce qu’on appelle la pensée nationale et la politique nationale. On nous dira : entre les cerveaux de ceux qui dirigent un état et les cerveaux des simples citoyens il y a une différence de développement bien moins grande qu’entre la tête d’un animal et ses ganglions inférieurs. Sans doute, mais ces derniers mêmes ne sont point dépourvus de sensibilité propre, comme le prouvent les actions réflexes qui s’y produisent ; la grenouille décapitée peut exécuter encore une foule de mouvemens et conserver la sensibilité de ses diverses parties. Si donc c’est une supériorité du corps social sur les autres corps organisés que l’accession de tous ses membres à la pensée, cette supériorité ne constitue cependant pas une différence essentielle. Ici encore, si on cherche de quel côté il y a la vie la plus intense au point de vue psychologique, l’avantage est aux sociétés sur les animaux, et dans les sociétés mêmes il y a des centres de pensée scientifique ou de gouvernement politique, des cités privilégiées qui méritent vraiment le nom de tête ou de capitale. Nous retrouvons donc dans les sociétés l’analogue psychologique et physiologique du système nerveux et jusqu’à un certain point du cerveau.

Notons encore sous ce rapport d’autres ressemblances remarquables. L’animal auquel on a enlevé une partie de son cerveau peut, avec l’autre partie, continuer de sentir, de penser, de vouloir ; de même une nation dont la vie intellectuelle et en quelque sorte cérébrale est plus ou moins affaiblie continue cependant de la manifester tant qu’il lui reste assez d’individus ayant la conscience du lien commun qui les unit et du bien commun à atteindre ; ces individus sont un reste de cellules cérébrales. Autre analogie : quand on a décapité un animal et que cependant la vie subsiste, on voit après un certain temps les hémisphères cérébraux, qui étaient le plus grand épanouissement du système nerveux, suppléés tant bien que mal pour la coordination de certains mouvemens par des centres inférieurs ; ceux-ci, dont la fonction normale était de servir aux opérations instinctives, semblent par instans s’exalter jusqu’aux opérations intellectuelles. Ainsi dans une société qu’une invasion ou une révolution prive tout à coup de ses chefs et de sa tête, on voit peu à peu surgir des hommes nouveaux qui s’élèvent souvent à la hauteur du péril ; la conscience de la solidarité s’exalte chez ceux mêmes qui avaient jadis vécu renfermés dans leur égoïsme, et un nouvel esprit circule dans les membres de la nation.

On le voit, l’organisme social nous offre (malgré l’objection de M. Spencer), un système nerveux pour les fonctions de relation comme il nous a offert un système alimentaire et circulatoire ;