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sourde oreille, fort heureusement pour la Banque de France, sur laquelle sans nul doute on se fût empressé de lever une contribution peu volontaire de 500 millions. La commune put voir par elle-même que les Allemands n’étaient pas disposés à lui témoigner quelque indulgence. Vers le 20 avril, le bruit se répandit que M. Thiers, acquittant une partie de l’indemnité de guerre, allait être mis en possession des forts du nord et du château de Vincennes. Cette rumeur s’accentua et troubla la commune, qui ordonna au commandant de Vincennes d’armer ses remparts de façon à résister aux troupes françaises, si elles se présentaient pour prendre garnison. Dans la journée du 22, quelques pièces d’artillerie furent hissées et mises en place dans les embrasures. Le 23, un officier, envoyé par le commandant en chef de l’armée allemande, faisait sonner en parlementaire à la porte de Charenton et signifiait aux membres de la commune qu’ils eussent à respecter scrupuleusement les conventions du 28 janvier. On ne se le fit pas dire deux fois ; le soir même, les bastions de Vincennes étaient désarmés, les canons étaient rentrés au magasin, et le Journal officiel insérait le 24 une note explicative pour annoncer que le délégué à la guerre avait immédiatement fait droit à la réclamation de l’Allemagne.

Ce sont là des faits de guerre, des malentendus, si l’on veut, qui n’ont pas de sérieuse importance et qui démontrent seulement la platitude de la commune vis-à-vis de ces mêmes troupes allemandes que l’on devait exterminer, si elles osaient se montrer dans Paris. J’ai déjà raconté qu’Arnold, le membre de la commune, avait vainement tenté toute sorte d’efforts pour obtenir libre passage des insurgés à travers les troupes bavaroises massées entre Pantin et Aubervilliers ; il nous sera un exemple du patriotisme dont ces révolutionnaires sans patrie étaient animés. Arnold avait fait partie de la classe des conscrits de 1857 ; il avait été exempté pour cause de myopie ; le 3 septembre 1870, — la date est précieuse, — il fit renouveler son exemption et se trouva ainsi débarrassé des obligations du service de guerre qui incombait aux hommes de trente à quarante ans. Aussitôt après le 4 septembre, il entre dans la garde nationale et est nommé sergent-major au 64e bataillon. Il se fait déléguer au comité central et à la fin de février 1871, il est placé, en qualité de commandant, à la tête de son bataillon. Ce myope, qui n’y voyait pas assez pour marcher à l’ennemi, n’eut pas besoin de lunettes pour combattre ses compatriotes. Il se conduisit bien au fort d’Issy, et n’abandonna la lutte dans les rues de Paris qu’à la dernière extrémité. Se souvient-on que pendant la guerre Raoul Rigault se vantait d’être un « artilleur en chambre. »