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Ferré, va mourir ! » Des voix avinées hurlaient : Descendrez-vous, lâches ! Cette demi-heure est restée dans ma mémoire comme un des cauchemars les plus terribles de ma vie. Je pris ma femme dans mes bras ; nous nous sommes réfugiés dans une maison où j’ai trouvé une chambre. J’y étais à peine qu’un obus éclatait. L’illuminé m’avait suivi, il répétait : J’ai fusillé C. ; Ferré va mourir ; Ferré est mort maintenant ; c’est moi qui ai tiré le premier coup de canon à pétrole sur le Palais-Royal ! — Tout à coup on cria : Voici les Versaillais ! Nous nous sauvâmes, et je trouvai asile à l’ancien collège écossais. — Si j’étais la justice, je ne trouverais qu’une peine à appliquer à tous ces gens que la politique des clubs a rendus fous : je les ferais mettre à Bicêtre. »

La place n’est pas mauvaise, et elle peut convenir à plus d’un ; mais il ne faut cependant pas se méprendre et attribuer à la démence ce qui appartient à perversité. Si quelques-uns ont marché sur la route qui conduit aux cabanons des fous furieux, c’est qu’eux-mêmes ont choisi cette route et qu’ils s’y sont engagés résolument sans écouter les avertissemens qu’on ne leur épargnait pas. Qu’il y ait eu parmi eux des monomanes, — Allix ou Babick, — nul n’en doute ; ceux-là ont été inoffensifs. Si à la minute suprême les autres ont touché la folie de près, la faute en est à eux. Ils ont développé avec passion tous leurs mauvais instincts, ils ont fait volontairement appel à la violence, parce qu’ils refusaient d’acquérir par le travail ce qu’ils convoitaient ; ils ont menti, sachant bien qu’ils mentaient ; ils ont été intentionnellement cruels, ils ont été féroces avec préméditation. Leurs, actes de méchanceté ont été tels qu’ils ont pu faire douter de leur raison ; mais l’excès dans la conception et l’exécution du mal est une maladie que les savans n’ont point encore déterminée ; elle porte un nom en morale cependant et s’appelle l’envie ; ceux qui en sont atteints sont responsables.


IV. — LE PATRIOTISME.

Ils sont d’autant plus responsables que, pour griser la population jusqu’au délire, pour la grouper en un corps d’armée prêt à toutes les fureurs, ils ont lâchement invoqué le salut de la patrie et la grandeur du sacrifice. Ce sera là leur honte éternelle. Ils ont masqué leurs ambitions, leurs projets de destruction, leur amour effréné du pouvoir derrière des prétextes menteurs, inventés pour les besoins de la circonstance et dont ils étaient les premiers à sourire. Ils avaient juré de se jeter dans le gouffre comme Curtius, et, quand le moment de tenir leur serment fut venu, ils allèrent simplement s’asseoir sur leurs chaises curules, s’y trouvèrent