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Versailles est revenu trop tôt ; il n’a pas laissé à la science expérimentale de la révolte le temps de se produire tout entière et d’étonner le monde par l’amplitude de son génie inventif. Si l’armée française ne s’était pas hâtée, la commune allait nous rendre le feu grégeois et l’approprier aux besoins de la revendication sociale. On l’avait proposé aux membres du gouvernement de la défense nationale, qui avaient refusé, sans discussion, d’user contre l’ennemi d’un moyen de guerre réprouvé par les nations civilisées. Ce fut un avocat dont j’ai les lettres, les rapports et les mémoires, qui se chargea de le faire adopter par la commune. C’est la logomachie que nous connaissons déjà : « L’humanité et la conscience ordonnent de se servir de ce moyen héroïque, car on rendra la guerre impossible en la faisant trop meurtrière. C’est pourquoi ce n’est pas seulement un droit, mais bien réellement un devoir, et un devoir de vraie religion (car l’humanité n’est pas autre chose), que d’anéantir la force qui, dans les mains de Thiers, cet homme odieux et par là même condamné, cause les désastres de Paris, et de la France. » Tout est de cette force, et c’est par un tel abus de mots que l’on cherche à pallier un acte de brigandage. On a appris par les journaux que les Versaillais se massent et campent dans le bois de Boulogne : « Eh bien ! citoyens, ces bois qui servent d’abri à l’ennemi, ces tentes, ces soldats, ces forces considérables, il ne tient qu’à vous de les anéantir en quelques instans sans perdre un seul homme. Les troupes de Versailles seront anéanties ou dispersées, n’en doutez pas, sans esprit de retour, en y lançant le feu grégeois, et puisque nous le pouvons, nous le devons évidemment. » La lettre continue sur ce ton pendant quatre pages ; et se termine par ce post-scriptum où la science militaire se marie dans de justes proportions à la science économique : « Nota : le feu grégeois brûle le bois vert, et l’eau, loin de l’éteindre, le développe beaucoup. Au premier coup d’œil il semble qu’il serait pour la guerre un surcroît de dépenses ; en réfléchissant qu’il finirait la guerre, on trouve qu’il en fera promptement cesser les frais. » À cette lettre est annexée une consultation : Le feu grégeois et le droit des gens, dans laquelle on tente de prouver par toute sorte d’argumens frelatés que nulle considération ne peut prohiber l’emploi de cet engin destructeur ; on cite les écrivains spéciaux, et pour un peu on découvrirait qu’ils en recommandent l’usage. L’on en conclut que c’est f le moyen le plus sûr et le plus expéditif de disperser les soldats de Versailles, de les empêcher d’obéir à la ténacité impitoyable de Thiers et à l’activité furieuse de l’Irlandais Mac-Mahon. » Un mémoire intitulé Documens pratiques sur l’emploi du feu grégeois donne des détails intéressans, non pas sur la