Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/30

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de tuer l’archevêque de Paris. Un jeune homme, — presque un enfant, — est saisi par la contagion du mal, et il écrit un article qui le marque à jamais d’un signe de réprobation. Le 20 avril, le journal la Montagne publie, sous la signature de Gustave Maroteau, une diatribe qui ne serait que ridicule si elle ne formulait un appel direct à l’assassinat. Après avoir parlé de Léotade, de Torquemada, de Charles VI, de Trestaillon, de Galilée, de Jean Huss, de la fiole des Médicis et du poignard de Lucrèce Borgia, après s’être écrié : Nous biffons Dieu ! il termine en disant : « Les chiens ne vont plus se contenter de regarder les évêques. Nos balles ne s’aplatiront plus sur des scapulaires, pas une voix ne s’élèvera pour nous maudire le jour où l’on fusillera l’archevêque Darboy, et il faut que M. Thiers le sache, il faut que Jules Favre, le marguillier, ne l’ignore pas. Nous avons pris Darboy pour otage, et, si on ne nous rend pas Blanqui, il mourra ! La commune l’a promis, et si elle hésitait, le peuple tiendrait son serment pour elle, et ne l’accusez pas. Que la justice des tribunaux commence, disait Danton, le lendemain des massacres de septembre, et celle du peuple cessera. Ah ! j’ai bien peur pour Mgr l’archevêque de Paris ! » Mgr Darboy ignorait les invectives que l’on bavait contre lui ; mais son rare bon sens lui avait, dès son arrestation, fait comprendre le sort qui lui était réservé, et son grand cœur était résignée. Au moment de tomber, il leva la main pour bénir ceux qui l’assassinaient.

Ces actes sont tellement extraordinaires qu’il est impossible de se figurer qu’on en ait été le contemporain ; ils semblent appartenir aux âges barbares et reculer jusqu’aux confins des périodes préhistoriques. Il faut chasser cette illusion ; c’est hier qu’au nom de la liberté de conscience on a persécuté, on a tué les prêtres. La terre qui les recouvre est encore humide du sang qu’ils ont versé. Ce qu’il y a de désespérant dans cette horrible aventure, c’est que ceux qui s’y sont activement mêlés ont paru de bonne foi ; on dirait qu’ils s’imaginent avoir vengé de vieilles injures, avoir délivré l’humanité opprimée et fait acte de justice égalitaire. Rien n’est accidentel dans cette œuvre, tout est voulu, tout est prévu. C’est une sorte de drame dont le scénario a été déterminé d’avance et que les acteurs suivent servilement. Parmi les gens de la commune, plus d’un, — Raoul Rigault, Ferré, Gabriel Ranvier, — avaient rêvé de « manger du prêtre. » Ceux qui se prétendaient des lettrés criaient : « Soulevons enfin l’oppression qui dure depuis quinze siècles ! » Les économistes, eux, voulaient supprimer le budget des cultes ; les simples fédérés, puant le vin et la charcuterie à l’ail, disaient : « Les curés ! ils se nourrissent mieux que nous ! » Toutes ces haines, ces erreurs, ces sornettes produisirent un accès de sauvagerie qu’il