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longtemps Pougatchef, ouvrit ses portes et se joignit à l’envahisseur. Le colonel Simonof et son second, le capitaine Krylof, se retranchèrent dans la citadelle avec un millier d’hommes : nous retrouverons cette petite troupe en racontant l’héroïque défense qui fit d’elle, à cette heure de défaillance universelle, l’exemple et l’honneur des armes russes.

On n’en pouvait dire autant des médiocres défenseurs d’Orenbourg. La ville était investie de toutes parts ; les vivres s’y faisaient rares, on rationnait les habitans, on nourrissait les chevaux de broussailles, les maladies éclataient, la sédition menaçait. Le 13 janvier 1774, Reinsdorp toléra une sortie générale, énervée d’avance par ses indécisions ; la fortune cède aux capitaines brutaux qui la violentent, non à ceux qui la consultent, par acquit de conscience. Wallenstern sortit avec toutes les troupes par une froide matinée et s’enfonça dans cette nuit de neige, pleine d’erreurs, que fait l’aube sur la steppe d’hiver. Soudain les kosaks tournent bride à l’arrière-garde, la colonne, craignant d’être coupée de la place, se replie en désordre ; la déroute rentre dans Orenbourg, laissant aux mains des rebelles quatre cents morts et quinze bouches à feu. Reinsdorp se tint pour quitte envers lui-même après cette dernière tentative : à partir de ce jour, il se renferma derrière ses remparts, attendant soucieusement la délivrance.

Bibikof la préparait à Kazan. Il n’avait fallu rien moins que son énergie pour calmer les esprits dans cette ville affolée. Sur sa proposition, la noblesse du pays et des provinces voisines créa à ses frais des légions de volontaires à cheval. Le généralissime travaillait jour et nuit à l’organisation de ces milices locales, faute de troupes régulières disponibles. Les lettres qu’il adressait à sa femme attestent les angoisses de ce vaillant soldat au début de sa mission : « — J’ai pris connaissance de la situation, écrivait-il le 30 décembre ; j’ai trouvé ici les choses dans le pire état, telles que je ne saurais les décrire ; je me suis vu tout à coup dans des embarras plus fâcheux que ceux où je me trouvais à mes débuts en Pologne. Ma main ne quitte pas la plume ; je fais tout le possible et j’implore l’aide de Dieu : lui seul peut nous secourir. En vérité, on s’y est pris bien tard. Mes troupes ont commencé hier à arriver ; mais c’est bien peu de chose pour se rendre maître d’un pareil fléau ; le mal est si grand qu’il me rappelle l’incendie de Saint-Pétersbourg, quand le feu éclatait sur tous les points à la fois et qu’on ne savait où courir. Le pauvre vieux Brandt (le gouverneur de Kazan) est si atterré qu’il peut à peine agir. Celui qui a compromis les affaires par sa précipitation répondra devant Dieu du sang versé et du meurtre de tant de braves gens. Enfin, je suis en bonne santé.