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Don, les gentilshommes affluaient dans la vieille capitale, seul refuge qui parût sûr désormais. Tandis que les boïars fuyaient, les paysans s’agitaient sur leurs terres ; les mêmes nouvelles qui apportaient la terreur aux maîtres semaient la joie et les espérances de liberté chez les serfs ; toute la glèbe frémissait d’impatience : à Moscou même, le menu peuple s’assemblait sur les places, murmurait sourdement, menaçait les seigneurs et attendait naïvement l’entrée du faux tsar. — Éclairée enfin sur l’étendue du mal, Catherine se montra ce qu’elle était aux heures critiques, une grande souveraine, résolue dans l’adversité, toujours prête à sacrifier un ressentiment personnel au bien de son empire. L’illustre Bibikof, le pacificateur de la Pologne, vivait alors à Pétersbourg dans une demi-disgrâce ; de méchans rapports de Saldern, ministre à Varsovie, l’avaient compromis au Palais-d’Hiver, en insistant trop sur les succès du général auprès des dames polonaises. Un soir, au bal de l’Ermitage, l’impératrice alla droit au disgracié avec son grand sourire d’autrefois, et lui annonça qu’elle l’avait choisi pour étouffer la révolte qui menaçait le repos de l’état. Bibikof accepta sans mot dire, en soldat. Homme de guerre consommé et l’un des meilleurs esprits de ce temps, il était bien éloigné de la fatuité de son prédécesseur. Sans perdre un jour, il partit le 9 décembre, traversa Moscou, où il put juger déjà de l’effervescence populaire, et fit route pour le Volga, emportant avec lui les vœux et l’espoir de tous les cœurs russes.


IV

Les choses allaient de mal en pis du côté d’Orenbourg. Un lieutenant de Pougatchef partait pour rançonner le pays à la tête d’une bande : cette bande, grossie de tous les serfs qu’elle soulevait en route, devenait une armée ; le chef de cette armée, n’obéissant plus qu’à ses propres inspirations, poussait au large, travaillait pour son compte et créait un nouveau centre de révolte. Dans les derniers jours de 1773, Chika s’avançait vers le nord avec dix mille hommes et bloquait la ville d’Oufa ; Barbeblanche opérait entre Oufa et Kazan, se rapprochant du haut Volga. Chlopouche, avec cinq mille hommes et du canon, avait entrepris de réduire les forteresses qui tenaient encore sur l’Iayk. Les rebelles se dirigèrent vers Iaytzky. On se souvient que la révolte avait pris naissance sous les murs de cette ville, restée pourtant dans le devoir jusqu’à ce moment. En voyant apparaître les coureurs de l’ennemi, la population kosake, dont les vœux secrets appelaient depuis