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moi, ajoutait-il, je ne souhaite pas de régner. » L’inconnu demeura trois jours chez son hôte ; Zaroubine le conduisit ensuite dans un autre lieu, où il devait se cacher jusqu’à l’époque des pêcheries d’automne.

L’arrestation de Kojevnikof précipita les événemens. Le 18 septembre, Pougatchef parut sous les murs d’Iaytzky avec une bande de trois cents hommes et campa à trois verstes de la place. Le colonel Simonof envoya de l’infanterie et des kosaks contre les mutins. Comme les cavaliers irréguliers se déploient en avant-garde, un messager vient à eux, agitant au-dessus de sa tête une lettre de l’imposteur : les kosaks demandent qu’on leur en fasse lecture ; leur officier s’y oppose ; la révolte éclate : la moitié du détachement passe aux insurgés, traînant par la bride les chevaux des soldats restés fidèles. L’officier s’en retourne presque seul. On amène à Pougatchef les kosaks entraînés de force par leurs compagnons : sur son ordre, onze sous-officiers sont pendus séance tenante. Le lendemain, les rebelles se rapprochèrent de la place ; mais, en voyant sortir contre eux de l’infanterie et du canon, ils tournèrent bride et se rejetèrent dans la steppe. Simonof, peu sûr de ses troupes, rentra dans la ville, où la sédition grondait, et dépêcha un exprès à Orenbourg pour demander du secours ; les communications directes étaient déjà coupées : l’exprès mit huit jours à faire le trajet. Pougatchef, avec sa bande augmentée des transfuges, se dirigea sur le petit fort d’Iletzk, à mi-chemin entre Iaytzky et Orenbourg. Il envoya sommer l’ataman Portnof, qui commandait là, de lui remettre la place et de se joindre à lui. Il promettait aux kosaks « le signe de croix orthodoxe, des pêcheries et des pâturages, des provisions et de l’argent, du plomb et de la poudre, une éternelle liberté. » En cas de refus, il les menaçait de la corde. L’ataman, fidèle à son serment, refusa ; ses kosaks le garrottèrent et reçurent Pougatchef au son des cloches, avec le pain et le sel. Le vainqueur enrôla à son service tous les hommes d’Iletzk, trouva là ses premiers canons et fit pendre le malheureux Portnof.

Les autres petits postes de la steppe eurent le même sort. Ces postes n’étaient généralement, sous le nom de forteresses, que des villages enclos de haies et de barricades en planches, défendus contre les nomades par quelques vieux canons servis par des invalides de l’armée régulière et des kosaks. Partout les choses se passèrent comme à Iletzk ; à la première sommation de Pougatchef, les kosaks trahissaient, garrottaient les invalides, livraient les portes à l’imposteur et le recevaient en triomphe. Il descendait dans la principale maison : une potence était dressée devant le seuil et tous les habitans étaient contraints devenir lui prêter serment ; en dernier