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pour y établir une réunion publique. Les femmes ne bougèrent ; le visage penché vers leur livre de prières, elles firent effort pour ne point entendre les injures, — les obscénités, — qu’on leur criait aux oreilles. Le nombre des clubistes augmentait ; ils firent une poussée contre les femmes et entonnèrent la Marseillaise. Les femmes, tassées les unes contre les autres, ripostèrent en chantant le Magnificat et le Parce Domine. Deux voyous en blouse, coiffés d’une casquette ravalée, hardis et adroits, escaladèrent la chaire et y déployèrent une écharpe rouge en criant : Vive la commune ! Les femmes agitèrent leurs mouchoirs en guise de protestation, et, comme la veille, crièrent : Vive Jésus-Christ ! Ce fut en vain, l’église était envahie ; les pauvrettes, malgré leur courage, n’avaient point été les plus fortes. Elles eurent beau continuer à chanter les litanies, le club s’installa ; il y eut un président, il y eut des assesseurs, et un orateur surgit à la tribune : « Il faut étriper les nonnes, les jésuites et les curés ; il faut les flanquer à la porte de cette baraque pestilentielle, que le peuple saura purifier ; il faut leur enlever nos femmes et nos enfans qu’ils corrompent, qu’ils abêtissent et qu’ils font servir à leurs orgies. » Cette fois les femmes de Saint-Sulpice étaient vaincues, elles abandonnèrent la place à la libre pensée.

Parfois on employait les églises à d’autres objets ; on montait dans les clochers, on y braquait des longues vues, et, du haut de ces observatoires, on cherchait à découvrir les mouvemens de l’ennemi. L’ennemi, c’était la pauvre France blessée qui cherchait à ressaisir sa capitale en proie aux bandits. Le 21 avril, le curé de Saint-Philippe-du-Roule reçut cette lettre : « État -major de la 8e légion. Monsieur l’abbé, veuillez être assez bon pour mettre la clé du clocher de votre église à la disposition du capitaine porteur du présent ; avec la clé, vous voudrez bien lui donner un homme sous vos ordres pour lui servir de guide. Veuillez ne pas oublier, monsieur l’abbé, que vous êtes discret par vocation. Salut et fraternité. — Le lieutenant-colonel : S…[1]. » J’estime que « monsieur l’abbé » a pu répondre qu’il n’y a pas de clocher à Saint-Philippe-du-Roule. Quand les prêtres n’étaient point arrêtés, quand ils avaient réussi à se dérober aux griffes de Raoul Rigault, on les faisait épier, on les mettait en recherche, et on lâchait contre eux les commissaires de la commune : « Comité de sûreté générale. Paris, le 16 avril 1871. Au citoyen commissaire de la rue Rataud de faire le nécessaire au sujet du curé de l’église Jacques,

  1. Le nom n’est pas très lisible ; je crois lire Schmeltz ; le lieutenant-colonel de la 8e légion de la garde nationale pendant la commune était en effet Eugène-Pierre-Crépia Schmeltz.