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raison puissante et d’une imagination enflammée. Il revint de ses longues recherches avec un volume, œuvre de maître ; la rébellion sauvage y était racontée d’un style sévère, jugée et flétrie comme elle le méritait : pas une indulgence de poète pour le format qui fit trembler l’empire, pour les hordes aveugles qui le suivaient ; rien que la vérité de l’histoire et l’indignation d’un patriote devant la plaie de la patrie ; puis, l’œuvre ainsi faite, Pouchkine resta libéral.

C’est d’après cette œuvre que nous voudrions faire connaître en France le curieux épisode qui a échappé jusqu’ici à notre littérature. Nous n’apportons pas une production originale ; convaincu que l’histoire écrite par Pouchkine peut être considérée comme définitive, nous nous sommes contenté souvent de la traduire, parfois de l’éclairer ou de l’abréger pour le lecteur français, çà et là de la compléter avec les indications de travaux russes plus récens. En empruntant à un tel maître le récit des faits, nous nous sommes efforcé de lui emprunter surtout l’esprit qui l’a dirigé. Pour un étranger, il était tentant peut-être et facile à coup sûr de présenter les hommes et les choses de ce monde lointain sous un relief romanesque : des kosaks armés contre le pouvoir, des fils de Mazeppa guerroyant dans la steppe, tout cela comportait nécessairement chez nous, il y a peu d’années encore, une poésie théâtrale et je ne sais quelle fausse sentimentalité. Aujourd’hui l’histoire fait son devoir plus austère et plus étroit ; il lui est d’autant moins permis de l’enfreindre que ses enseignemens de vérité sont plus que jamais nécessaires. Ce qui nous a tout d’abord frappé dans le tableau de cette guerre servile sous Catherine II, c’est le caractère commun à ces poussées brutales d’en bas, qui semblent des phénomènes d’atavisme, comme une vague nostalgie des états sauvages traversés par l’humanité primitive. Non pas révolutions, mais convulsions, comme on les nommait si bien naguère à cette place ; convulsions stériles, sans formule, sans idée. Au premier coup d’œil, on les distingue sans peine des révolutions historiques ; ces dernières, même au prix du sang et des catastrophes, ont marqué une étape du mouvement humain, un progrès ; rien ne reste au contraire de ces poussées de la brute, identiques dans tous les temps et tous les pays. Que ce soient les gladiateurs de Spartacus et de Catilina, les Jacques et les maillotins de la France féodale, les anabaptistes d’Allemagne, les hordes serviles de Stenka Razine et de Pougatchef, ou les malfaiteurs assemblés dans nos capitales modernes, tous se reconnaissent à la même absence d’idéal. Armée soulevée par la haine stupide, qui veut uniquement la jouissance, qui la veut rapide et folle, une heure avant le châtiment. Partout les chefs la recrutent avec la même promesse décevante et absurde, celle que Stenka