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ce fut sans doute par un hiver bien long, bien triste et bien gris qu’il s’écria :

… J’ai pour la Provence au ciel bleu la tendresse
Qu’on a pour l’Italie et qu’on a pour la Grèce.


Il y revint et il y trouva une muse nouvelle, la vraie muse, la muse natale. Les Poèmes de Provence sont pour la plupart d’un caractère descriptif. Nous y découvrons les hautes falaises aux pins mélodieux, les vastes horizons de la Méditerranée qui blondit et se dore au soleil ; nous y entendons souffler le mistral qui tord la crinière du Rhône et le fouette dans sa course, nous y trouvons Arles et ses Aliscamps, « la chanteuse Avignon, » la rieuse Marseille et la sévère Toulon ; nous assistons aux scènes gracieuses de la cueillette des olives et des mûriers ainsi qu’à la ferrade des taureaux sauvages. Le poète nous fait passer des scènes de vendanges aux intérieurs de paysans et de là au triste spectacle des Glaneuses de la Camargue, qui croient « ramasser la vie » dans ces maremmes où plane la fièvre et souvent « n’y cueillent que la mort. » Enfin, dans une série de pièces d’un goût antique et d’une saveur moderne, il célèbre le chantre aimé de Platon, la cigale, cette « âme du blé » qui germe, grandit et tombe avec lui, cet être ailé et musical si épris de lumière qu’il meurt, disent les paysans, sur la plus haute branche d’un arbre avec le dernier rayon du soleil. Ce qui distingue les tableaux poétiques de M. Aicard, c’est la netteté du trait, un coloris tout en lumière et le relief puissant des détails. Parmi les meilleures pièces du volume, nous citerons le Rhône. Dans ces strophes d’un beau mouvement, le fleuve apparaît vivant et personnifié :

Fleuve superbe ! il court, et se jouant des lieues,
Il atteint, lui qui sort des Alpes au cœur pur,
La Méditerranée aux grandes ondes bleues,
Et né dans la blancheur il finit dans l’azur.


On trouvera peut-être que la pure description prédomine trop dans ce recueil. La nature y occupe le premier plan ; l’homme n’y intervient que comme une partie du paysage. Or, en poésie, nous aimons à lui voir jouer le premier rôle, et la nature elle-même nous intéresse bien autrement lorsqu’elle nous apparaît à travers les émotions de l’âme humaine. On regrette donc parfois que le poète, qui a un cœur tendre et passionné pour les ressentir, une langue colorée et sonore pour les peindre, ne s’y abandonne pas plus souvent. On nous dit, il est vrai, qu’il prépare un poème de longue haleine où il chantera dans un récit continu et dramatique la vie populaire en Provence sous toutes ses faces. La Mireille de Mistral est une vraie épopée provençale dans la langue des félibres ; il nous en manque une en vers français. M. Aicard est capable de nous la donner, et nous l’attendons à cette épreuve décisive.