Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la liberté ; moi, état, qui suis pour tous et toujours le représentant de la liberté, dès aujourd’hui je supprime la tienne. » C’est là justement la question qui se cache dans cet article 7 imaginé par M. le ministre de l’instruction publique et livré à tant de disputes.

Ce qu’il y a de plus étrange, c’est que M. Jules Ferry et les défenseurs de ses projets en sont arrivés, non-seulement à soulever des questions religieuses qui sont toujours un danger, mais à se mettre du même coup en contradiction avec les sentimens libéraux les plus sérieux et les plus profonds. Ils sont obligés, pour étayer leur système, d’invoquer toute une législation équivoque, — une loi du 18 août 1792 qui, à part ce qu’elle a de violent, est d’une légalité contestable, puisqu’elle date d’un moment où il n’y avait plus de pouvoirs réguliers, — un décret de l’an XII qui s’applique à une situation politique toute différente. Est-ce qu’il est vraiment sensé, à l’heure qu’il est, en pleine république régulière et libérale, d’aller chercher ces prohibitions d’un autre temps, sans tenir compte de la transformation croissante de la société française, des changemens de mœurs, d’idées et de tout ce qui est de nature à limiter l’action de quelques associations religieuses ? M. le ministre de l’instruction publique a pu l’autre jour amuser l’assemblée de quelques citations fort saugrenues, la plupart déplacées, nous en convenons, empruntées à des livres de l’enseignement congréganiste ; mais après tout, contre cet abus et contre d’autres plus graves, le gouvernement n’est pas désarmé. Il a des lois, il a pour appui l’esprit libéral de la société française. Avant d’en venir à supprimer la liberté de qui que ce soit, il aurait à se demander à lui-même s’il remplit toujours ses devoirs de surveillance ou de répression autour de lui. Il a un pouvoir de direction, qu’il l’exerce, et, — tout bien considéré, les citations de M. Jules Ferry eussent-elles quelque valeur, il n’y aurait pas encore de quoi proclamer la patrie en danger, et réclamer en toute hâte la suspension de la loi souveraine et protectrice du droit commun !

Au milieu des complications et des incidens divers qui forment ce qu’on appelle la question d’Orient, qui ont tour à tour occupé et occupent encore l’Europe, les affaires égyptiennes ont eu depuis quelques semaines le privilège de tenir une place particulière. Elles avaient pris surtout une certaine importance depuis que le vice-roi Ismaïl-Pacha avait eu la fantaisie de s’engager dans le plus étrange conflit avec les deux principales puissances de l’Occident, la France et l’Angleterre. Ce jour-là la situation prenait décidément le caractère aigu. À cette première difficulté était bientôt venue se joindre l’intervention pressante, impérieuse, de la diplomatie allemande, prenant en main la défense des intérêts de ses nationaux atteints ou menacés comme tous les intérêts étrangers par les caprices despotiques du vice-roi. Tout le monde finissait par se mêler à la querelle. Ismaïl-Pacha avait si bien fait en peu