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violence pour qu’ils se décident à exiger ce qu’ils souhaitent dans le fond de leur cœur. Je peux vous assurer qu’il n’en est rien. La limite des sacrifices que nous demandons à nos confédérés a été fixée par nous à ce qui nous paraît indispensable pour créer en Allemagne une véritable communauté nationale. » Deux ans plus tard, il leur disait encore : « Nous ne pouvons faire que le passé n’ait pas été, et nous ne saurions fabriquer l’avenir à notre guise. Ne vous figurez pas que nous forcerons le temps à marcher plus vite en lui montrant l’heure qu’il est à notre horloge. Mon influence sur les événemens a peut-être été surfaite ; en tout cas, personne ne peut exiger de moi que je crée l’histoire. Non, cela me serait impossible, même avec votre concours, lequel me rend si fort qu’ensemble nous pourrions braver un monde en armes ; mais ne nous flattons pas de faire l’histoire, nous devons attendre qu’elle se fasse. Je vous recommande un peu de patience, laissons aux destinées le temps de mûrir. »

Non-seulement M. de Bismarck sait attendre, mais il possède plus que personne l’usage des moyens indirects, qui sont la marque du génie politique. Les hommes d’état médiocres vont droit devant eux jusqu’à ce qu’ils rencontrent la muraille ; le vrai politique tourne les difficultés et passe, à côté de l’obstacle. Si les catholiques mettaient les pouces, les lois de finances de M. de Bismarck donneraient satisfaction aux vœux que formaient dès 1867 les nationaux-libéraux. Jusqu’à ce jour, l’empire n’a pas conquis son indépendance financière ; pour nouer les deux bouts, il a besoin des subsides que lui octroient les états sous le titre de contributions matriculaires. Désormais, de quelques restrictions que fût accompagné le droit qu’il est question de lui conférer, il posséderait les impôts indirects les plus productifs ; les états n’auront pour subsister que des impôts directs sensiblement diminués et la part qu’il voudra bien leur faire dans ses excédans. Ce serait l’empire qui tiendrait la bourse, ses coffres seraient pleins, et il pourrait venir au secours des gouvernemens embarrassés ; il serait leur banquier, leur bailleur de fonds, le dispensateur de la manne céleste. Les peuples ne tarderaient pas à s’apercevoir que leurs princes reçoivent, qu’ils ne donnent plus, que c’est l’empire qui donne. S’ils apprennent un jour que l’empire a racheté tous les chemins de fer, ce jour-là une révolution se sera accomplie par des procédés de finances, l’unité sera faite, et M. de Bismarck pourra dire comme ce roi chananéen dont il est parlé dans le livre des Juges : « J’ai à moi soixante-dix rois, à qui j’ai coupé les pouces des mains et des pieds ; ils mangent mon pain et recueillent sous ma table ce qui en tombe. »

Les ultramontains ont déjà beaucoup accordé ; s’ils accordaient davantage, obtiendraient-ils tôt ou tard la récompense de leurs bénévoles concessions ? Beaucoup de gens en doutent. On est persuadé ; à Berlin que la question ecclésiastique reste posée comme elle le fut