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à s’avancer trop loin dans cette voie. Le nombre des sculpteurs augmente. Quelques esprits en sont attristés ; mais qu’y peut-on faire ? quelle est la cause de cet accroissement ? La trouverons-nous dans les encouragemens que peut donner l’état, dans la faveur des particuliers, ou seulement dans l’empressement du public à visiter l’exposition de sculpture ? Il n’en est rien. L’administration des beaux-arts, avec ses faibles ressources, doit limiter ses commandes et les rétribuer d’une manière modeste. Quant aux particuliers, on ne peut s’attendre de leur part à un grand désir de posséder des œuvres toujours un peu sérieuses et en tout cas difficiles à mouvoir et à placer. Or tandis que la peinture est de plus en plus en faveur, la sculpture, à cet égard, en reste toujours au même point. Cependant d’année en année la production des sculpteurs s’accroît. Il est évident que non-seulement ils n’aspirent point à faire fortune, mais que la pauvreté et même la détresse ne les effraient pas. Telle est en eux la force de la vocation qu’ils n’hésitent pas à embrasser la carrière et à la suivre. Ce désintéressement, cet amour de l’art, dont on s’étonne, et sur les conséquences desquels on gémit, nous semblent honorables. Ils sont heureux pour la France, qui, d’après le témoignage rendu l’an dernier par les nations rivales, semble tenir dans cet art l’un des premiers rangs. Quant aux œuvres nombreuses qui figurent au Salon, on ne peut les voir dans leur en-. semble sans être touché de sympathie. Dans toutes l’inspiration peut n’être pas également heureuse ni l’exécution habile, mais on y trouve toujours le sérieux que l’artiste porte à ce qu’il fait quand il l’aime, et souvent avec ce sérieux la marque de la souffrance.

Tout, au contraire, dans la peinture est joie et liberté. Un certain affranchissement des tristesses humaines éclate dans ce monde, que nous avons caractérisé comme celui de la lumière et de la passion. Les œuvres les plus profondes ont de la sérénité ; celles qui sont seulement graves restent aimables. Cependant l’art décoratif, encore emprisonné dans des idées d’austérité stérile, n’atteint pas aux splendeurs du grand art. Le portrait touche aux extrêmes : il y en a d’excellens, il y en a de nuls, et la moyenne ne peut triompher de notre froideur. Pour la vaincre, il faudrait appuyer sur le caractère, sur l’expression, sur les conditions du milieu. Autrement ces toiles dans leur dénûment nous font songer à ces maisons où l’on ne trouve ni un livre, ni un objet d’art. Nous aurions besoin que le peintre ne nous présentât pas son modèle comme une personne que l’on rencontre sur son chemin et avec laquelle on échange un regard indifférent. Mais néanmoins sous tout cela on sent un ressort qui vient de bonnes études, et on peut dire que par là l’avenir est assuré. Il est facile de s’en convaincre quand s’ouvrent à