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traversaient la rue, en tête de bœufs qu’ils avaient la prétention de conduire, mais allaient, selon toute apparence, là où les bœufs voulaient les mener. Puis vint un autre Hottentot, avec un joug autour du cou et deux seaux appendus aux deux bouts. Comme j’étais peu pressé, je m’amusai à continuer ces observations pendant un certain temps ; mais je ne pus pas voir un seul blanc au travail. Alors je me levai, et je me mis à parcourir la petite ville avec le dessein prémédité de m’assurer s’il me serait possible de surprendre un blanc qui travaillât ; je ne pus en découvrir un seul. » Notez que nous sommes ici dans l’état libre d’Orange, d’où les indigènes ont été si bien expulsés que tout ce qui en est resté ne forme pas la moitié de la population blanche, encore cette moitié vit-elle pour la plus grande partie entièrement séparée des blancs dans le territoire des Baralongs. Les noirs ont été rejetés hors de l’état, et cependant il semble qu’il n’y a place que pour le travail noir. Qu’est-ce donc pour Natal et le Cap, où ils vivent en majorité énorme ? Si quelque chose peut prouver avec évidence que l’Afrique du sud est et restera terre d’hommes noirs, comme le dit M. Trollope, c’est bien cette infiltration obstinée du travail indigène dans l’état même où l’on croyait en avoir détourné et tari la source.

Si Cham n’est destiné en Afrique australe comme ailleurs qu’à être le serviteur de ses frères, ce sera du moins à son plus grand avantage. Je lis dans M. Trollope que la somme des salaires payés annuellement aux champs de diamans s’élève à 1,600,000 livres sterling, soit 40 millions de francs, dont la presque totalité passe entre les mains des indigènes. Ajoutez à cette somme celles qu’ils reçoivent pour d’autres services, et calculez tout ce qu’il entre chaque année d’argent anglais dans les kraals de l’Afrique du sud. Une très faible partie de cette somme revient au gouvernement colonial sous la forme de la taxe des huttes, — 10 shillings par an pour chaque habitation, — et de quelques menus impôts ; le reste demeure en leur possession ou s’échange contre des choses à leur usage. Qui donc n’est capable d’apercevoir l’immense et heureuse transformation morale dont ce fait d’ordre purement économique est la cause et l’instrument ? Ce que l’Angleterre met à la disposition des indigènes sous la forme de salaires, c’est cette puissance civilisatrice par excellence qui s’appelle le capital et dont l’absence les a jusqu’à cette heure retenus dans la barbarie. Grâce à ces salaires, ils sont mieux nourris, mieux vêtus, mieux logés, et l’on commence à trouver dans leurs pauvres huttes ce qu’on ne trouverait pas toujours dans les chaumières des paysans de nos vieilles contrées. Au sortir de sa visite à l’école d’Healdtown, M. Trollope se prit à discuter sur l’éducation des Cafres avec un de ses compagnons de route, tout en traversant la campagne de la Cafrerie anglaise.