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on peut douter que les noirs se montrent de si bonne composition lorsqu’ils auront reconnu qu’il est en leur pouvoir de braver leurs dominateurs par les moyens mêmes que ces derniers leur ont donnés et qu’ils ne pourront leur retirer sans démenti choquant. A supposer d’ailleurs qu’ils consentent à se laisser conduire par les blancs, il n’y a là qu’un danger de plus, car ce sera l’inauguration fatale de l’état de faction, de brigue et d’anarchie dans l’Afrique australe. Le jour où on s’apercevra qu’ils peuvent constituer une majorité, les partis se disputeront leurs suffrages, et on peut tenir pour sûr qu’ils feront avec empressement tout le mal qu’on leur demandera de faire. Qui nous dit que d’ici à quelques années nous ne les verrons pas, tantôt aux ordres de démagogues boers ébranler légalement le pouvoir politique de l’Angleterre, tantôt aux gages du gouvernement colonial écraser les résistances des boers ? Point n’est nécessaire d’y regarder de bien près pour voir quel admirable engin de guerre civile et de guerre servile est le cadeau politique que le libéralisme de l’Angleterre a fait à ses sujets noirs.

Ce sont là les périls de l’avenir, mais cette situation singulière a des conséquences plus immédiates. L’élément noir est un obstacle des plus sérieux au fonctionnement régulier et complet du régime représentatif dans la colonie du Cap, et rend son établissement impossible dans les autres colonies. On a pu admettre les indigènes aux droits politiques dans la colonie du Cap, parce qu’il y a là une minorité respectable de blancs qui serait peu disposée à se courber devant une majorité noire, et saurait au besoin empêcher que les choses n’aillent trop loin ; mais oserait-on essayer pareille aventure dans Natal, où 20,000 blancs courraient risque d’être à la merci de plus de 300,000 noirs, et dans le Transvaal, où 40,000 boers devraient tenir tête à 250,000 indigènes ? Si le régime représentatif devait être établi dans ces deux colonies, on ne pourrait éviter d’inscrire dans leurs constitutions une disposition analogue à celle qui est inscrite dans la constitution du Cap, et cette nécessité seule suffit pour rendre peu désirable à leurs habitans l’avènement d’une liberté plus complète que celle dont ils jouissent. Ce que nous disons des colonies de Natal et du Transvaal peut se dire avec bien plus d’évidence du projet de confédération entre tous les établissemens de l’Afrique australe, car dans une telle confédération la majorité de l’élément noir apparaîtrait bien plus écrasante encore qu’elle n’apparaît dans chaque colonie prise isolément. Pour le Cap même, il est à craindre que l’établissement du régime représentatif ne soit qu’un médiocre bienfait. En tout cas, ce bienfait a été au moins prématuré, et la preuve c’est que le gouvernement anglais n’a pas cru pouvoir retirer ses troupes et a dû continuer à garder à son compte les frais de l’occupation militaire, comme si la colonie