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tambour à tour de bras, en poussant des cris féroces, et en tournant sur lui-même comme une toupie, s’arme d’une queue de couagga (le zèbre du pays), et, après beaucoup d’hésitations calculées, frappe un prétendu sorcier qui, selon les cas, est, ou bien mis à mort immédiatement, ou bien rossé à outrance jusqu’à ce qu’on le juge suffisamment purifié par la souffrance. Il va sans dire qu’une telle coutume favorise singulièrement les haines particulières ; on a bien toujours, même chez les Cafres, quelque voisin que l’on déteste, quelque riche que l’on envie, quelque parent dont il est utile de se défaire, quelque amoureux dont on est aise de se venger. Quelquefois même la politique s’en mêle ; tel sujet est suspect au chef, tel autre possède de nombreux troupeaux qui arrondiraient convenablement le parc princier ; dans ce cas, le dénicheur de sorciers rend volontiers à l’autorité le service de la débarrasser de ce sujet importun. Il va sans dire que le gouvernement colonial a interdit toute pratique de cette coutume malfaisante au premier chef chez toutes les tribus soumises à sa domination ; aussi aujourd’hui ne retrouve-t-on plus dans Natal et au Cap de dénicheurs ou dénicheuses de sorciers qu’à l’état de diseurs ou diseuses de bonne aventure[1]. Lady Barker fut curieuse d’assister à une séance de ces bohémiens et bohémiennes noirs, et nous a donné de leurs tours d’adresse une relation très détaillée et très brillante ; eh bien ! ici encore, nos habitudes d’esprit ne sont pas trop dépaysées. La description qu’elle nous fait de ces effrontées devineresses, richement et bizarrement costumées de peaux de lynx, de léopards, de lions, de boas constrictors, de plumages d’oiseaux, brandissant leurs lances ou leurs queues de couaggas et s’entraînant jusqu’à la frénésie par leurs danses bizarres et vertigineuses, rappellent si exactement ce que nous lisons des bacchantes et des ménades, des prêtres d’Athys et de Cybèle, qu’elle a l’air d’une traduction bien faite d’un récit antique sur quelqu’une des scènes frénétiques des cultes orgiaques. Tout cela est fort barbare, mais n’est pas absolument ignoré de nos modernes civilisations. Nous n’avons pas parmi nous de dénicheurs de sorciers, cela est vrai, mais y a-t-il beaucoup plus de quatre-vingts ans que nos magistrats ont acquis le droit de ne plus exercer cette fonction ?

  1. Il est juste de dire qu’avant son interdiction par la loi anglaise, cette coutume avait reçu un coup mortel dans le Zoulouland de la main du grand Chaka lui-même. Sous son règne, les dénicheurs de sorciers étaient devenus si nombreux qu’il y avait à peine un de ses sujets, même parmi les plus puissans, qui fût à l’abri de leurs dénonciations. Irrité de ces méfaits répétés, Chaka eut recours pour y mettre un terme a un stratagème des plus ingénieux et des plus infaillibles, il tua un taureau dans le secret de la nuit, et souilla du sang de la victime sa propre tente royale. Le lendemain, les devins furent convoqués pour découvrir l’auteur de ce crime de lèse-majesté. Il va sans dire qu’ils ne désignèrent que des innocens ; sur cela Chaka, qui savait à quoi s’en tenir, en fit un massacre général et en délivra son peuple pour un temps.