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avec lesquelles un gouvernement de raison, de modération avait à se débattre pour assurer à la France la liberté, une liberté régulière et la paix. Comme il n’avait rien à ménager, il pouvait tout se permettre. C’était moins un politique de conseil qu’un orateur usant de tous ses droits, en abusant même un peu parfois, je le veux bien. L’éloquence couvrait tout. Cette éloquence a été le glorieux phénomène d’une des plus éclatantes périodes parlementaires ; elle n’a fait que grandir pendant quinze ans au contact de tant d’autres paroles parmi lesquelles elle a gardé une vive et saisissante originalité ! Ce que Berryer aurait été au pouvoir, on ne le sait ; il eût été sans doute un de Serre avec moins de nerf et de force concentrée, avec plus d’ampleur et d’expansion. Au parlement, dans l’opposition, dans la liberté des discussions publiques, il a été Berryer, un des premiers sinon le premier des orateurs depuis Mirabeau, un des plus puissans fascinateurs de tribune.

Il a eu assurément, à cette brillante époque, des adversaires, des émules faits pour lutter avec lui sans lui ressembler : Casimir Perier, avec sa parole brève et impérieuse d’homme d’action, M. Guizot, avec son éloquence sévère et réfléchie, M. Thiers, le plus facile, le plus sensé, le plus prodigieux des causeurs de parlement, Odilon Barrot, l’orateur convaincu du droit constitutionnel ou des déclamations généreuses, Dupin, le juriste raisonneur et mordant, Lamartine, prenant lentement son essor de cygne. Je ne nomme que les principaux, ceux de la chambre des députés : il y en avait bien d’autres, qui seraient les premiers aujourd’hui. Berryer, dans cette élite, était entre tous le génie vivant de la parole. Chez lui, tout était éloquence, tout concourait à l’action de l’orateur, et la sonorité d’un organe savamment conduit, et le geste dominateur, et le feu du regard éclairant cette belle et expressive figure, et la vie respirant partout, et le don pathétique de l’émotion. Nul n’a jamais su mieux que lui s’emparer d’une assemblée et la captiver en parlant à son imagination, à ses instincts les plus généreux, en mêlant à l’enchaînement saisissant des démonstrations passionnées et des grands tableaux de la politique, l’irrésistible et foudroyante impétuosité des reparties. M. Thiers, qui s’y connaissait, prétendait familièrement qu’il y avait deux choses qu’il redoutait, le coup de corne de Berryer et le coup de dent de M. Dufaure. Berryer était en effet parfois aussi terrible que prompt à la riposte ; mais avec sa nature loyale et bienveillante, il n’avait ni haine ni amertume : il pouvait avoir du mépris pour certaines bassesses, de l’emportement contre certaines attaques, il n’avait aucun fiel.

Était-ce un simple improvisateur et fallait-il prendre au mot cet habile artiste de la parole, disant avec une spirituelle bonhomie qu’il