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L’éducation de Berryer se complétait par les événemens. Il était d’une génération qui n’avait entendu que les bruits expirans de la révolution et qui, à son entrée dans la vie du monde, subissait naturellement la fascination d’un régime glorieux et dominateur, qui, à vrai dire, ne connaissait que l’empereur, tant Napoléon alors éclipsait et absorbait tout. Il était bien impérialiste à dix-huit ans, il l’a avoué sans subterfuge, il l’était encore à vingt ans ; il ne l’était plus à vingt-quatre ans, il avait cessé de l’être avant la catastrophe, dès 1812. Comment s’était accomplie cette métamorphose intérieure ? C’est un des épisodes les plus curieux de la formation de ce puissant talent. Au moment où il avait eu à se décider dans le choix d’une profession, d’un avenir, il avait répondu à son père qui l’interrogeait, qui lui montrait d’autres carrières brillantes, les carrières officielles à parcourir : « Non, mon père, je veux être indépendant, je serai ce que vous êtes, je serai avocat. » Il s’était adonné, avec le feu d’une nature impétueuse qui avait du temps pour tout, pour le plaisir comme pour le travail, à des études souvent ingrates, et dans ces études, il avait un guide singulier. Un vieux député aux états-généraux, M. Bonnemans, placé auprès de lui, passait dix-huit mois à lui faire lire les procès-verbaux de l’assemblée constituante. C’était pour un jeune esprit la saisissante révélation de tout un ordre de droits et de libertés, de tout un monde presque inconnu, à demi oublié, M. Berryer père, d’un autre côté, sans être un ennemi de l’empire, avait parfois comme avocat des cliens dont il ne désertait pas la cause en face du gouvernement. Il avait surtout dans le déclin du règne, dans un procès alors fameux, à défendre le maire d’Anvers contre les éclats de colère de Napoléon. Le jeune Berryer lui-même, pour son coup d’essai, se trouvait mêlé avec son père à la défense de quelques-uns des obscurs complices de la conspiration Malet. Il avait pu voir de ses yeux à cette occasion le revers de la glorieuse médaille, il avait saisi le secret de l’empire sous ses décevantes splendeurs.

C’était assez, et ici encore c’est lui qui a évoqué un jour ses souvenirs dans ce qu’il appelait sa confession, — une confession faite avec une grâce virile en pleine assemblée nationale sous la république de 1848. Il racontait comment son esprit s’était éveillé à la lecture des cahiers de 1789, comment il n’avait pas attendu la chute de l’empire pour sentir le poids du despotisme, comment il avait confié dès lors ses impressions aux amis de sa jeunesse, et tout d’un coup, dans un mouvement d’entraînante éloquence, se tournant avec un geste familier et superbe vers un de ses collègues de l’assemblée : « Tu m’es témoin ! » s’écriait-il. — Et s’arrêtant, comme s’il eût cédé à un élan trop intime, il reprenait : « Eh bien, oui, j’ai senti le despotisme, et pour moi, il a gâté la gloire. Et puis j’ai vu