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en était pressenti par Montlosier. Du moment qu’elle était signée par d’Entraigues, elle devait être dure. Elle le fut. Nous en donnons quelques extraits :

« Conformément à vos intentions, monsieur le comte, j’ai remis au roi les lettres que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser et que j’ai reçues depuis peu de jours seulement. Elles renferment des plaintes vagues et sont de nature à rester sans réponse. Telle a été celle que le roi m’a faite et que la confiance que vous me témoignez me fait un devoir de vous transmettre. Permettez-moi, monsieur le comte, d’y ajouter quelques réflexions. Envers tous ses sujets, quels qu’aient été leurs opinions, leur conduite, leurs écrits, soit dans le commencement de nos malheurs, soit durant le cours de leur trop longue durée, sa majesté ne croit pas qu’aucun émigré se montrant zélé pour ses intérêts, inséparables de ceux de la France, ou simplement menant une vie retirée, ait eu à se plaindre de lui. Peut-être auront-ils partagé avec le public le droit de porter un jugement sur les productions dont les principes leur paraissaient erronés ; mais ils savent que le roi ne souffrirait pas qu’ils fissent contre leurs auteurs mêmes aucune démarche contraire aux sentimens de clémence que sa majesté professe. »

Cette lettre mécontenta vivement Montlosier. À travers les formules de politesse, il fut clairement que ses opinions, soit sur la régence, soit sur les deux chambres, étaient blâmées, et quant aux sentimens de clémence envers lui, ils froissèrent à jamais sa nature violente, rude, mais loyale.

Une telle lettre ne pouvait rester ignorée des agens dont la réponse du roi justifiait la conduite. Elle devint le signal d’un nouveau déchaînement contre Malouet, Lally et Montlosier : déchaînement d’autant plus opportun, qu’on annonçait Mallet Du Pan. Il vivait auprès de Mounier à Berne. Une lettre du chevalier de Panat, janvier 1796, l’avait un instant détourné de la pensée de quitter la Suisse. « La folie est générale et incurable, lui écrivait-il ; combien vous vous trompez en croyant qu’il y a un peu de raison dans la cour du frère ! On ne peut former aucune espérance. Je vois souvent Montlosier, Malouet et Lally ; nous pleurons tant de fautes commises ; tant de malheurs en ont été la suite ! Nous cherchons un remède sans le découvrir ; combien vous nous manquez ! »

Le chevalier de Panat terminait par un mot célèbre, prononcé alors pour la première fois : « Personne n’est corrigé ; personne n’a su rien oublier, ni rien apprendre. » Mallet Du Pan hésitait donc ; les événemens allaient faire cesser ses hésitations. Nous avons dit que M. de Nanthia, l’évêque de Saint-Pol et M. du Theil avaient la distribution des fonds votés par le parlement en faveur des émigrés.