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Tourne ; et patiemment au fil des eaux s’abreuve,
Droite sur un seul pied, la cigogne au long bec.

Un lourd cheval de Gueldre, au chemin de halage,
Aidant la grosse voile où le vent s’arrondit,
Tire, naseaux fumans,… la corde se raidit…
On aperçoit au fond le clocher d’un village.

Le maître a peint son œuvre en fervent chroniqueur. —
Qu’importent le pays, le costume ou l’époque,
Si, dans les souvenirs que son génie évoque,
On reconnaît sa main, sa lumière et son cœur.


L’AN 1367


A quoi donc peut songer la petite Bretonne
Qui file sa quenouille en suivant ses troupeaux ?
L’Océan s’aplanit dans un profond repos.
Sur l’immense miroir pas un flot qui moutonne.

Tout est calme : l’oiseau planant au cap Fréhel,
D’un rapide coup d’œil peut voir la mer étale
De Saint-Malo jusqu’à la pointe de Cancale,
Et les grèves blanchir jusqu’au Mont-Saint-Michel.

Sous le grand papillon de sa coiffe à dentelle,
Alors que chèvrefeuille et touffes d’églantiers,
Aux deux bords de la Rance embaument les sentiers,
La petite Bretonne à quoi donc pense-t-elle ?

Les rossignols chantans lui redisent en chœur :
« Dans la saison d’amour la vie est fortunée ;
« Et voici le printemps de ta quinzième année,
« Le printemps de la vie et le printemps du cœur. »

Mais si les rossignols et les fleurs sont en fête,
Elle est indifférente à leur enchantement,
Car elle réfléchit tout bas profondément,
Essayant de mémoire un long travail de tête.

Elle voudrait savoir en démêlant son lin
(Tout en comptant les jours et le soir des veillées),
Combien il lui faudra filer de quenouillées
Pour payer la rançon de Bertrand Du Guesclin.

ANDRE LEMOYNE.