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V

La question des formes de gouvernement tient le plus souvent la première place dans les traités de philosophie politique : M. Bluntschli la renvoie avec raison à la dernière partie de son livre. L’existence d’un état est indépendante de la forme de son gouvernement. La France a subi depuis moins de cent ans onze changemens de gouvernemens : elle est toujours restée, pour elle-même et pour les autres pays, le même état. Les révolutions politiques ne sont même pas toujours les événemens les plus considérables dans l’histoire d’une nation : la substitution de la république à l’empire n’a été qu’un incident secondaire pour la nation française en comparaison de la guerre désastreuse au milieu de laquelle cet événement a trouvé place.

Une saine philosophie ne considère plus les formes de gouvernement d’une manière abstraite, en leur attribuant une valeur propre et absolue. Elle les place dans le milieu historique où elles prennent naissance, dans les conditions sociales, territoriales et nationales auxquelles elles doivent s’approprier. Elle les dépouille en même temps de leur raideur systématique ; elle leur permet toutes les transformations, toutes les combinaisons, tous les tempéramens qui peuvent favoriser leur établissement et assurer leur bon fonctionnement et leur durée. Telle est l’excellente méthode que s’efforce de suivre M. Bluntschli.

Il prend pour base l’antique division des gouvernemens en monarchie, aristocratie et démocratie ; il y ajoute la théocratie. L’addition n’est pas très heureuse. La théocratie n’est pas une forme de gouvernement ; elle exprime plutôt le principe ou l’esprit qui anime certains gouvernemens, quelle que soit leur forme ou leur nature, car l’esprit théocratique se retrouve aussi bien dans une pure démocratie que dans une monarchie ou une aristocratie. M. Bluntschli généralise le type de la théocratie en l’appelant idéocratie ; il entend par là tout gouvernement qui repose non-seulement sur des croyances religieuses, mais sur des conceptions métaphysiques, sur des idées pures. Les utopies de certains réformateurs modernes tendraient à réaliser, non des théocraties dans le sens propre du mot, mais quelque chose d’analogue, des idéodraties. Le rapprochement est ingénieux, mais il ne rend que plus évidente la nécessité de distinguer entre l’esprit et la forme d’un gouvernement.

L’aristocratie et la démocratie elles-mêmes, telles que les entendent les états modernes, sont plutôt des principes que des formes de gouvernement. Dans les cités antiques, le pouvoir pouvait être exercé directement, soit par un seul, soit par plusieurs, soit par