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dont le concours est nécessaire pour les résoudre, et joignant au respect éclairé du passé le sentiment très net des besoins du pressent. Or nulle science n’offre un intérêt plus direct et plus pratique pour tous les états, et il n’en faut excepter aucun dans toute l’Europe, qui traversent depuis près d’un siècle une grande crise politique et sociale. Il est bon d’ailleurs que, pour cette science, chaque nation cherche des lumières chez les nations étrangères : si nous ne trouvons pas au dehors moins de préjugés et de passions que parmi nous, nous y trouverons du moins des passions et des préjugés autres que les nôtres et moins propres à nous égarer. Les Français, particulièrement, ont tout à gagner à connaître sur ces questions la pensée allemande. L’Allemagne joue, depuis quelques années, un si grand rôle, et ce rôle nous touche de si près, elle est de plus tellement accoutumée à chercher dans ses conceptions spéculatives le mobile et la justification de tous ses actes, qu’il ne nous est pas plus permis de rester indifférens à ses théories politiques qu’à sa politique elle-même.

M. Bluntschli unit avec raison la méthode historique et la méthode philosophique. Les états sont des faits historiques. Leur naissance et leur mort, leur progrès et leur décadence, leurs développemens et leurs transformations tiennent la plus grande place dans l’histoire universelle. La notion générale de l’état n’est qu’une abstraction vide, si elle ne répond pas aux caractères communs, aux lois communes qui se manifestent dans l’histoire des états particuliers. Il y a toutefois dans cette notion, et dans toute théorie un peu profonde destinée à la développer, autre chose qu’une simple généralisation de certaines données historiques. Son objet propre est un idéal, et, pour en mieux préciser la nature, un idéal moral, un principe de conduite pour tous ceux qui, à un titre quelconque, tiennent dans leurs mains les destinées des états. C’est par là qu’elle appelle une méthode philosophique. Le tort des philosophes n’a pas été de concevoir un idéal de l’état, mais de se faire trop souvent un idéal abstrait qui, ne s’appuyant pas sur la réalité, ne peut y trouver des applications utiles et fécondes.

La méthode historique ne doit donc pas se séparer de la méthode philosophique ; mais, si les conditions de la première se conçoivent aisément, il en est autrement de celles de la seconde, qui varie suivant les philosophes. M. Bluntschli ne nous a pas exposé sa méthode philosophique, et l’idée qu’il s’en fait ne ressort pas clairement de ses théories. Il fait profession de s’appuyer surtout sur la connaissance de l’âme humaine ; mais sa psychologie est assez vague, et elle tient d’ailleurs peu de place dans le ; développement de sa doctrine. Il fait appel aux notions morales, aux idées de droit et de devoir ; mais là encore il s’en tient à des généralités sans