Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 33.djvu/931

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inévitablement par sa pose le génie gardien du tombeau fait songer à Michel-Ange ; il rappelle le Jonas ou quelque autre pendentif de la Sixtine. Mais il semble que les attitudes michelangesques ne soient possibles, qu’elles ne puissent atteindre à l’équilibre et à la stabilité sculpturales, qu’elles ne soient durables qu’à la condition que les personnages auxquels on les impose soient plus grands, plus forts, aient en quelque sorte plus de poids que les simples mortels. Il y faut des géans. Dans la proportion des esclaves du Louvre ou des figures de la chapelle des Médicis, le génie funèbre serait plus imposant et vraiment redoutable, puissant. La puissance ! voilà ce qui fait trop souvent défaut aux œuvres de l’école française actuelle, et cependant c’est une des qualités maîtresses de l’art. Sans doute de très petits ouvrages, par l’exaltation et la simplification de formes qu’ils comportent, sont aussi bien que des colosses en mesure de donner l’idée d’êtres supérieurs à la réalité ; mais cet effet est d’autant moins facile à obtenir qu’on reste dans les conditions ordinaires de la nature. En sculpture la masse compte pour beaucoup, et la sculpture, en cela, tient de l’architecture.

En tout cas l’amplification de la réalité, les artifices capables de soulever l’œuvre de l’artiste pour la transporter dans un monde où l’énergie des êtres qu’il a créés semble atteindre à sa pleine et irrésistible expansion, c’est l’essence de la sculpture et c’est sa raison d’être. Or cet équilibre supérieur de l’être, cette possession d’un état qui exprime la domination incontestée de la force sur la matière qui l’enveloppe et la revêt, manque à la plupart des ouvrages qui sont envoyés au Salon sous le nom d’études. La manière de copier le modèle vivant de trop près fait rentrer la représentation de la nature vivante dans la nature morte. On procède d’après le modèle avec des scrupules qui engendrent la servilité et un esprit d’analyse qui ne convient qu’aux choses inanimées. C’est une sorte de procès-verbal que l’on dresse des formes, et par là l’œuvre sort du domaine de l’art pour entrer en quelque sorte dans l’histoire naturelle. La cause du phénomène que nous signalons est peut-être dans une prolongation exagérée des études académiques, mais elle est aussi, et qu’on nous entende bien, ou qu’on nous pardonne, dans un excès de conscience. L’intervention de la conscience morale dans le travail de l’artiste lorsqu’il imite la nature est une nouveauté qui appartient à notre temps toujours un peu porté à compliquer les choses. Si une application détournée de l’idée de devoir est un danger pour l’art, c’est un signe que, si respectable qu’elle soit en son principe, elle n’est point à sa place et qu’il serait mieux de s’en affranchir. En effet, voyez la conséquence. Ces fac-similé du nu réussissent quelquefois, et il arrive un jour où