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un droit la participation au genre de notoriété qu’elles dispensent. Elles ne sauraient donc plus être considérées comme répondant à un privilège, comme représentant un choix sévère, et par suite comme une sorte d’enseignement. Il n’y faut plus voir déjà qu’un moyen de publicité et une occasion de constater l’état général de l’art année par année. Mais cela n’est pas sans intérêt, et d’ailleurs, quel que soit le nombre, il n’est pas interdit de porter un jugement. A tout prendre donc nos expositions se modèlent sur les mœurs, et c’est pour cela qu’elles sont vivantes et qu’elles vivront.

Les Salons sont vraiment aujourd’hui des fêtes obligatoires sur lesquelles un public de plus en plus nombreux s’est mis en droit de compter. Chaque année, vers le 1er de mai, le désir de voir de la peinture et même de la sculpture nouvelles s’éveille en nous. Pour nous, chaque année l’art doit avoir son printemps. Ce goût pour le renouveau et les primeurs des talens est très vif, mais en même temps est-il bien sérieux ? Est-ce un besoin ou simplement un passe-temps, un genre ? Et le Salon n’est-il, en définitive, que le Longchamps des arts ? Nous ne pouvons le croire et nous avons l’obligation d’en mieux penser. Cette déférence, nous la devons à l’art lui-même, qui est une manifestation constante de l’esprit humain et nous la devons à tant d’artistes soucieux de leur dignité qui n’hésitent jamais à exposer leurs œuvres ; nous ne saurions la refuser au public, dont les jugemens, s’ils n’ont pas toute l’autorité désirable, aspirent du moins à s’élever. Qu’il faille voir dans ce dernier fait l’influence des expositions rétrospectives ou le signe d’un heureux instinct, ou bien que ce ne soit là qu’une illusion née de ce que les amateurs de tout rang parlent de mieux en mieux la langue technique des arts, nous ne savons. Quoi qu’il en soit, le sentiment qui porte le public aux expositions, s’il participe de la curiosité et si la mode l’inspire, n’est cependant dénué ni de spontanéité, ni de clairvoyance. On s’en aperçoit quand par hasard on entend les conversations qui se tiennent devant les tableaux et autour des statues. La plaisanterie n’en fait plus tous les frais, le parti pris et l’ignorance même n’y font plus assaut d’audace ; mieux instruits, plus sincères, les gens du monde ne risquent plus de dire des choses dont la raison ait lieu de s’étonner.

Est-ce à dire que le goût public se soit formé et qu’il y ait réellement un goût public ? Sommes-nous des Athéniens ou des Florentins, et les artistes peuvent-ils trouver dans les appréciations de la foule ces encouragemens, ces résistances et même ces injustices qui émanent d’une société qui a un idéal et qui le poursuit ? Nous n’en sommes pas à ce point, et d’ailleurs notre amour de l’art n’est pas suffisamment désintéressé. L’admiration qu’inspire un tableau, par