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l’autre son fusil. C’est l’image de la flotte athénienne apercevant, du rivage sur lequel ses équipages mangent accroupis, les feux de la flotte de Lysandre. Si Lysandre avait seulement le cœur de la venir attaquer ! Que de peines, que de veilles, que d’embarras il lui épargnerait ! Lysandre reste immobile. Dès le point du jour, les Athéniens traversent le détroit et se rangent en ligne devant la plage de Lampsaque. La flotte du Péloponèse a fait son branle-bas de combat. « Sur les côtés, disait au XVIIe siècle l’ordonnance des galères de Malte, on met des capots, des cordages, des estrapontins, pour se mettre à couvert des coups de mousquet. » Lysandre n’avait à se défendre que des flèches des archers, des carreaux des frondeurs, des pierres des lithoboles ; il se contente de dresser le long de ses préceintes une rangée de mantelets et de boucliers. Les hoplites et les épibates sont à leurs postes, les rameurs ont l’aviron en main. A la bonne heure ! Il y aura bientôt du butin pour les mouettes, s’il n’y en a pas pour les corbeaux. Les Athéniens n’attendent que le moment où Lysandre aura levé l’ancre. Eh quoi ! Lysandre ne bouge pas encore. Faut-il donc l’aller tirer par la barbe ? Les Vénitiens ne se faisaient pas faute d’injurier « les pourceaux de Génois ; » le Karageuz des Turcs a probablement emprunté aux grands comiques d’Athènes les gestes et les bons mots qui font encore les délices du grave Osmanli. « Visage de chien » n’est qu’une injure homérique ; les marins de Conon avaient leur vocabulaire mieux garni. Ils l’épuisèrent en vain. Lysandre les laissa impassible vider leur carquois. Quand les Athéniens furent à bout d’injures et de provocations, ils retournèrent à Ægos-Potamos pour dîner. Le navarque les fit suivre de loin par deux de ses éclaireurs ; il tenait à savoir de quelle façon s’attablait l’ennemi et de quel marché Conon tirait ses vivres. Les Athéniens débarquent et se dispersent dans tous les alentours. Le lendemain le soleil n’est pas levé que les soldats de Lysandre ont déjà repris leur poste à bord. O sainte discipline ! que tu mériterais bien de porter le nom de mère de la victoire ! Les vaisseaux de Conon viennent de nouveau offrir le combat à cette flotte sous les armes. Si vous voulez combattre, Athéniens, décidez-vous à forcer l’ennemi dans ses lignes, car je vous en préviens, l’ennemi ne viendra pas à vous. Jetez-lui vos insultes, accablez-le de vos mépris et de vos brocards, vous ne le ferez pas sortir de sa position défensive. Durant quatre jours consécutifs, la même manœuvre, les mêmes défis injurieux se répètent. La flotte athénienne à l’aurore se met en marche ; dès que le soleil commence à baisser, elle fait retraite. Chaque fois elle trouve les Péloponésiens prêts à la recevoir, chaque fois elle les quitte aussi insensibles à ses railleries. S’imaginer que de pareils adversaires sont à craindre, qu’ils pourraient à leur tour traverser le détroit, quelle folie ! Il