Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 33.djvu/881

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Antandros expédient chaque jour quelque nouvelle trière à Éphèse. Pendant ce temps, Etéonicus est arrivé de Chio. Lysandre, avec cette escadre aguerrie, part pour Rhodes : à Rhodes on trouve toujours des vaisseaux. C’est en force que Lysandre, revenant de la côte de Carie, remonte de cap en cap le continent de l’Asie-Mineure. Les villes, sur son passage, rentrent dans le devoir, les contingens en retard accourent. Lysandre a de nouveau une flotte ; il fait, sans plus attendre, route pour l’Hellespont.

Les Athéniens étaient alors rassemblés à Samos ; avant de marcher à l’ennemi, il leur fallait reconstituer le commandement. Conon avait déjà pour collègues Adimante et Philoclès ; le peuple lui envoie trois autres généraux : Ménandre, Tydée et Céphisodote. Cette fois il est urgent que la lutte se termine. La république a mis en mer cent quatre-vingts vaisseaux ; elle exige l’audace et proscrit la pitié. On coupera le pouce droit à tous les prisonniers ; qu’ils manient encore la rame, s’ils en sont capables, mais qu’ils soient mis dans l’impossibilité de se servir à jamais de la lance ! C’est Philoclès, assure-t-on ; qui, pour complaire au parti extrême, a fait rendre par le peuple cet odieux décret. C’est encore ce même Philoclès qui, rencontrant sur sa route deux trières ennemies, l’une de Corinthe, l’autre d’Andros, en a fait jeter tous les hommes à la mer. Souhaitons-lui d’être toujours vainqueur, car les Lacédémoniens, s’il tombe entre leurs mains, ne l’épargneront pas.

Nous avons pu voir en des temps bien rapprochés du nôtre ce qu’il est permis d’attendre de ces transports puérils d’une rage impuissante. Faire la guerre en pirates est le plus sûr moyen de la mal faire. Le tir à boulets rouges, les décrets d’extermination n’ont jamais valu ces deux mots magiques qu’il faut toujours inscrire en sortant du port sur son labarum : ordre et discipline. Lorsque la Convention, dans ses plus mauvais jours, crut devoir mettre les Anglais au ban de l’humanité, lorsqu’elle prescrivit de n’accorder nulle merci aux équipages qu’un sort contraire mettrait à la discrétion de ses officiers, il ne se rencontra qu’un capitaine pour oser prendre un pareil ordre à la lettre, et ce capitaine en mourut peu de temps après de douleur.

Lysandre, avec deux cents vaisseaux, cinglait vers l’Hellespont. Il avait sur les Athéniens ce grand avantage de pouvoir côtoyer partout des rivages amis. Les Athéniens se décident enfin à le suivre ; mais, à partir de Chio, il leur faut prendre le large. La côte asiatique ne leur offrirait aucun point de relâche ; ils n’oseraient même pas y descendre pour prendre leurs repas. Lysandre a donc toute facilité pour les devancer dans l’Hellespont. Il jette l’ancre devant Abydos ; des troupes asiatiques y étaient déjà réunies. Lysandre les place sous le commandement de Thorax, un Lacédémonien, et leur