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et en qualité précisément égales, mais avec les différences de frais, de quantité, de qualité qui se rapprochent plus ou moins, qui s’échelonnent en degrés, qui n’assurent à aucun pays, à aucune région, à aucune localité, une supériorité absolue sur ses voisins, et n’ouvrent, dans aucun genre d’exploitations, d’entreprises, un champ sans limites à l’emploi d’un nouveau travail et d’un nouveau capital.

Cela étant et l’effet direct, l’effet naturel de l’universelle abolition du droit protecteur étant de faire tomber dans chaque pays toutes les exploitations, toutes les entreprises qui ne pourraient soutenir la concurrence étrangère, c’est de nécessité pour les pays relativement pauvres que le coup serait le plus rude ; c’est dans les pays où les élémens de prospérité sont rares et médiocres, — où le territoire pris dans son ensemble est comparativement ingrat, — où les voies de communication sont difficiles à établir, — où la division des industries en une multitude de branches est presque impossible, — que le nouveau régime opérerait le plus de ravages : il n’y aurait que les terrains de première ou tout au plus de seconde qualité, il n’y aurait que les industries d’élite, si l’on ose ainsi parler, que les entreprises favorisées par des positions de choix, qui résisteraient au choc, et comme ils n’y résisteraient qu’à grand’peine, ils ne pourraient guère offrir, par une extension d’activité, un nouvel emploi à la très grande quantité de capital et de travail qui se trouverait déplacée ; c’est là où le mal serait le plus grand qu’il y aurait le moins, de remède.

Dans les pays, au contraire, où les élémens de prospérité sont abondans ou multipliés, où le territoire, pris dans son ensemble, est comparativement fertile, — où tous les points du territoire sont d’un facile accès, par terre et par eau, — où l’industrie se divise naturellement en entreprises très diverses, — dans les pays riches, en un mot, l’abolition des droits protecteurs n’aurait que des effets peu sensibles, il n’y aurait qu’un petit nombre d’exploitations, qu’un petit nombre d’industries qui succomberaient, qu’une petite quantité de travail et de capital en chômage, et le surcroît d’activité que les autres exploitations, que les autres industries acquerraient par l’ouverture de nouveaux débouchés, non-seulement leur permettrait d’employer cet excédant de capital et de travail national, mais les engagerait à demander au dehors une augmentation de bras et de capitaux.

Nous en venons donc toujours et forcément au même point. De deux choses l’une : ou le capital déplacé, dans les pays pauvres, se dissiperait en pure perte, et la population laborieuse s’éteindrait dans la misère ; ou l’un et l’autre émigreraient vers les pays riches.