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d’intelligence et de décision avec lequel on procéderait à la classification des diverses industries appelées à recevoir définitivement ou temporairement un certain degré de protection. Tout dépendrait du discernement qui présiderait à cette classification, des données qui lui serviraient de base, des principes qui lui seraient assignés comme point de départ ou de repère.

C’est sur ce sujet que j’ai maintenant dessein d’insister ; mais avant d’en venir là, il ne sera peut-être pas sans utilité de présenter deux ou trois considérations générales, qui dominent toute la question et qui me paraissent avoir été jusqu’ici, ou tout à fait méconnues, ou négligées mal à propos.

1° L’économie politique pure, rationnelle, théorique, est une science ; elle enseigne aux esprits cultivés les lois qui président naturellement à la formation et à la répartition des richesses. L’économie politique appliquée est un art ; elle enseigne aux gouvernemens les règles de conduite qui favorisent la multiplication des richesses, ou préviennent leur destruction, assurent l’abondance et le bon emploi du revenu public. Envisagée sous ce dernier point de vue, l’économie politique n’est qu’une branche de l’art de gouverner, de ce grand art qu’on nomme, par excellence, la politique, et n’en est qu’une branche secondaire. S’il est bon de s’enrichir en effet, ce n’est là, ni pour les individus ni pour les peuples, l’unique but de leur existence ; si la richesse est chose excellente, l’indépendance, l’honneur, la puissance, la ferme résolution de garder dans le monde son rang et son bon renom, de croître sans cesse en civilisation, en lumières, et de remplir ainsi les vues de la Providence, sont choses meilleures encore. Lors donc qu’il s’agit d’engager les nations dans des voies nouvelles en vue de leur bien-être, lorsqu’il s’agit de les y convier toutes indistinctement, petites ou grandes, toutes, quel que soit leur état actuel, prochain, possible, ce n’est pas à l’économie politique, art ou science, c’est à la politique qu’appartient la haute main et le dernier mot. C’est à la politique qu’il appartient de s’assurer si toutes les nations ont un égal intérêt aux changemens qui se préparent ; s’il n’en est pas telle ou telle qui paierait à ce marché les avantages qu’on lui promet plus qu’ils ne valent, qui perdrait en sécurité, en position sociale, en prépondérance, en liberté d’action plus qu’elle ne gagnerait en aisance, en opulence.

Supposons, pour bien faire comprendre ma pensée, supposons dis-je, ce qui n’est pas probable, j’en conviens, ni prochain certainement, mais ce qui se peut, à la rigueur, que le principe de la libre concurrence, d’état à état, vînt à prévaloir, en même temps ou à peu près, chez toutes les nations civilisées, supposons que l’Europe, disons mieux, que la chrétienté, persistant à demeurer