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demi-mesures est passé[1] ! » A quoi donc alors a servi cet arrêté du 31 mars : « La commission de justice arrête : Le citoyen Protot est chargé d’expédier les affaires civiles et criminelles les plus urgentes et de prendre les mesures nécessaires pour garantir la liberté individuelle de tous les citoyens. Les membres de la commune de Paris, membres de la commission de justice : Ranc, Vermorel, Léo Meiliet, Ledroit, Babick, Billioray. » Il faut voir, du reste, le cas que les membres de la commune faisaient eux-mêmes de la liberté individuelle. Lorsque, pour Cluseret, on fit un simulacre de jugement à l’Hôtel de Ville, Lefrançais dit cette énormité : « J’ai entendu empêcher le citoyen Cluseret de continuer à être général en chef et ministre de la guerre, et le moyen, c’était l’arrestation. » Léo Meiliet renchérit : « Je déclare voter pour la mise en liberté de Cluseret, puisqu’on ne l’a pas déjà fusillé. » Les chefs, à force de vivre en dehors du droit, les subalternes, à force de vivre sans contrainte, n’ayant les uns et les autres que leur fantaisie pour règle et leurs passions pour guide, en arrivent insensiblement à dédaigner les notions les plus élémentaires qui régissent les sociétés. Ils ont orgueilleusement arboré des devises auxquelles leur façon de vivre et leur mode de penser ont donné un perpétuel démenti. Comment, en effet, faire comprendre à des hommes incultes ou infatués que liberté signifie soumission aux lois ; égalité : participation légale à des droits abstraits ; fraternité : abnégation de soi-même au profit de la communauté ? Bien plus, pour ces gens, liberté signifie le pouvoir de tout faire sans contrôle ; égalité : participation à toutes les jouissances et occupation de la première place ; fraternité : utilisation de la communauté au profit de soi-même ; c’est le renversement complet de la proposition, mais le parti révolutionnaire ne l’a jamais interprétée autrement, et c’est pourquoi il a toujours fatalement versé dans la cruauté. Dans ces temps de troubles et de surexcitation morbide, les chefs deviennent violens, et s’exaspèrent mutuellement dans leurs discussions confuses ; les soldats se grisent de leur importance, mêlent l’ivresse de l’alcool à celle des doctrines impies et deviennent fous. Que penser du cordonnier Ovide Noé, capitaine de la 7e compagnie du 248e bataillon, qui fait tirer des coups de fusil à sa femme et à celle d’un de ses amis sur les soldats français, « sans autre but, dit-il, que le plaisir de tirer des coups de fusil, l’histoire de s’amuser un peu. Que penser du cocher Pierre Miézecage ? Le 25 mai, à onze heures du matin, traversant la rue des Cordeliers, il aperçoit le sieur Lelu, corroyeur, qui se rase devant sa fenêtre ; il l’ajuste posément, tire dessus et le manque. Gilbert Tauveron, maçon de son état, fut plus

  1. Procès Audebrand ; déb. contr., cinquième conseil de guerre, 22 février 1873.