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confédérées ont méprisé mes avis et ceux des émigrés les plus capables d’en donner de bons ; elles n’ont paru agir que pour elles-mêmes. »

Montlosier raconte assez gaîment ses débuts de volontaire. Comme on comptait peu sur la participation des émigrés, on n’avait pris aucune précaution pour leur fournir non-seulement une paie (quelques-uns en avaient grand besoin), mais une tente et des vivres.

On s’étudiait du reste à aggraver et à multiplier partout les absurdités. « Lorsque les puissances de l’Europe, écrit-il, faisaient d’aussi belles choses et que les princes frères du roi les approuvaient, les compagnies d’Auvergne ne voulaient pas rester en arrière. Un matin, dans un cimetière, que je vois d’ici, on les fait assembler à mon insu et l’on y prend la délibération suivante, au moment d’entrer en France. Il est arrêté que la liste des nobles appartenant à la coalition d’Auvergne est close et, que dorénavant aucun gentilhomme ne pourra y être admis. On avait pris la précaution de ne pas m’avertir. Aussitôt que je fus informé, j’arrivai. C’était trop tard ; la délibération était prise. »

D’autre part, la préoccupation de voir l’armée du prince de Condé se grossir de constitutionnels était étrange. On venait d’apprendre que La Fayette avait quitté l’armée pour éviter son arrestation. Les princes pensèrent dès lors qu’il était probable qu’aussitôt que les troupes françaises apercevraient les rangs émigrés, elles s’y précipiteraient pour s’y réunir. L’ordre fut donné sur toute la ligne de repousser les déserteurs qui se présenteraient. Montlosier reçut cette consigne un jour qu’il était placé en vedette.

La retraite arriva. Les paysans embusqués poursuivaient les traînards à coups de fusil. Partout, et surtout la nuit, on était obligé de prendre contre les habitans de grandes précautions. C’est ainsi qu’on gagna péniblement la frontière.

Montlosier retourna à Trêves. En route, s’étant arrêté pour coucher, on lui annonça la visite de plusieurs anciens gardes du corps. Ils entrèrent au nombre de cinq ou six. L’un d’eux, prenant la parole, lui demanda ce qu’il pensait de cette retraite. Comme Montlosier ne leur donnait pas de prochaines espérances : « F… monarchien, murmurèrent-ils en s’en allant, ce sont les deux chambres qui nous ont perdus ! » Tel était l’état des esprits jusqu’au dernier étage de l’émigration.

Dans un autre milieu social au contraire, la propagande démocratique faisait des pas de géant. Montlosier avait résolu de se rendre dans le landgraviat de Hesse ; poursuivi par les hussards de Custine, il demanda l’hospitalité aux abords de la ville de Kœnigstein.