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dans sa poche, et, au bout de quatre jours de détention, obtient, à force de démarches, l’élargissement des trois détenus. Ceux-ci réclament leur argent ou leurs marchandises. Le commissaire réplique : « Ingrats, sans moi, vous seriez peut-être encore en prison. » On pourrait prolonger indéfiniment le récit d’anecdotes semblables, car c’étaient là les peccadilles familières aux gens de la commune ; peccadilles est le vrai mot, car ces vols, ces filouteries ne sont que de maigres fredaines si on les compare aux massacres et aux incendies prémédités. Heureux ceux qui n’ont été que des voleurs, plus heureux ceux qui n’ont été que des volés. Qu’importe que les casseroles de l’École militaire aient été retrouvées chez un chef d’escadron, que des médailles provenant des Tuileries soient à Londres dans les tiroirs d’un colonel, que des couverts d’argent soient sur la table d’un général, que des pantalons de femme enlevés à un magasin de lingerie soient dans le sac d’un fédéré ; on en plaisanterait si les otages n’étaient pas morts, et si nos monumens n’avaient point été brûlés. Il y a longtemps que l’histoire a fait grâce aux filous et qu’elle a gardé ses sévérités pour ceux qui l’ont à jamais déshonorée par leurs crimes.

Si les commissaires de police s’arrangeaient de manière à faire main basse sur l’argent et les objets en métal précieux, le menu fretin des officiers fédérés, qui n’étaient point admis aux honneurs du vol avec effraction, se contentaient de signer des bons de réquisition : soldera qui voudra. Quelques-uns de ces bons sont de nature à figurer dans un vaudeville : « Le citoyen F., commissaire de la sûreté générale, est autorisé à requérir une écharpe de commissaire de police. Pour le délégué de sûreté générale, membre de la commune, le chef de la police municipale : Brideau. »[1]. Jusqu’au milieu de la dernière bataille, ils signent des bons de réquisition ; ceux-là du moins sont destinés à leur procurer les vêtemens à l’aide desquels ils pourront se travestir et décamper : « Garde nationale de la Seine, 3e légion. Paris, 5 prairial an 79. Bon pour réquisitionner un pantalon noir : Le comité de salut public : Ant. Arnaud. » Et à la même date : « 25 mai 1871. Bon pour un pantalon et une vareuse à réquisitionner ; le colonel chef d’état-major : H. Parent. « Nous avons dit ailleurs que le faux chignon que Théophile Ferré s’était accroché à la nuque lorsqu’il se déguisa en femme avait été réquisitionné. Plus d’une fois, les administrateurs de la commune essayèrent de mettre un terme à ces vols déguisés, et ne parvinrent jamais à détruire un abus passé à l’état d’habitude. Le 14 avril, on porte ceci à l’ordre du jour des bataillons :

  1. Il y eut pendant la commune trois chefs de la police municipale qui fonctionnèrent simultanément ou alternativement : A. Dupont, Jaud et Brideau, tous trois contumax.