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aux négociateurs un projet de manifeste. Ils demandèrent à le communiquer aux souverains. Le projet demeura enfermé dans un portefeuille, et Mallet, découragé, résolut de partir le 25 de Francfort. Le 26, paraissait le célèbre manifeste du duc de Brunswick.

Les folies l’avaient emporté. La petite cour da Coblentz, servie par le ministre de Russie, M. de Romanzof, avait pris les devans. M. le marquis de Limon s’était offert, sous le patronage de Calonne, pour être le rédacteur du document qui déclara une guerre implacable à la révolution française. Montlosier connaissait ce personnage ; attaché anciennement au duc d’Orléans, puis renvoyé, il était arrivé sans ressources à Coblentz. On l’avait vu pérorant, gesticulant dans les groupes. L’atmosphère du lieu l’avait absolument enivré. Les princes le présentèrent au roi de Prusse et au duc de Brunswick comme un héros d’éloquence. Montlosier et ses amis ne doutèrent pas que la proclamation qu’il écrivait ne fût une sottise. Le manifeste parut et dépassa tous les pronostics.

Mallet Du Pan n’en revenait pas. Il partit furieux contre ces calculateurs superficiels, comme il les appelle, qui se félicitaient de l’accroissement des désordres et plaçaient leur espoir dans les attentats les plus odieux. À ses yeux, la révolution devait aux sophismes de l’esprit de parti l’attitude qu’elle prenait de plus en plus.

Montlosier, resté seul à Francfort, ne tarda pas à recevoir une lettre très vive de deux de ses camarades qui lui apprenaient les mouvemens de l’armée prussienne et le déplacement des compagnies d’Auvergne. Il s’achemina le plus diligemment possible sur Trêves.


II.

L’état intérieur de la France n’était apprécié par les émigrés ni avec justesse ni avec sang-froid. On connaît les désillusions qui suivirent la première campagne. Le 30 juillet 1792, l’armée prussienne s’était mise en marche. Quelques jours après, le 10 août emportait le trône constitutionnel de Louis XVI.

« Pas un homme dans les provinces envahies ne prit les armes pour les royalistes ; on avait compté sur des intelligences avec les régimens, avec les places fortes, rien ne bougeait. Les émigrés étaient généralement étonnés de ne pas voir Monsieur déclaré régent du royaume. »

« Notre situation est pire, écrivait à Mallet Du Pan le maréchal de Castries, la campagne a été sans succès et elle devait être telle. J’avais prévu une partie de ce qui est arrivé. Les deux puissances