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attaché à l’intendance, il avait profité de son grade et du droit aux réquisitions pour mener l’existence telle qu’il la comprenait. Arrêté pendant quelques jours et conduit à la prison du Cherche-Midi pour des motifs qui nous sont inconnus, il avait été relâché, grâce, sans doute, à la protestation que voici : « Sur ma tête, sur mon honneur, sur mes blessures et sur mon passé, je déclare que qui que ce soit n’a le droit de mettre en suspicion mes actes et mes ordres. Le citoyen Constant B., officier d’administration à la porte Dauphine, entièrement dévoué à la commune. » Le 3 mai, un officier supérieur fédéré s’installa, par voie de réquisition, rue Spontini, dans l’hôtel de Mme la comtesse de Castellane ; Constant B. l’y suivit, et amena avec lui quelques demoiselles de sa connaissance. Il n’avait point le cœur mal placé et offrait volontiers à ses amis une hospitalité qui ne lui coûtait pas cher. Il les convoquait à quelques agapes fraternelles où l’on ne semble pas avoir discuté bien sérieusement le problème humanitaire : « Mes chers camarades, venez le 11 mai, à cinq heures du soir, rue Spontini, 3, porte Dauphine. — Absinthe à cinq heures et demie ; — dîner à six heures ; — à partir de huit heures toutes voiles dehors. — A vous : Constant B. » Ces ivrognes, ces viveurs de bas étage, n’ont point été les plus mauvais, tant s’en faut ; ils se sont amusés et ont presque tous disparu en hâte, lorsque le danger est devenu plus vif qu’il ne leur convenait.

Le type de Constant B. n’est point rare parmi les adhérens de la commune ; on le rencontre à chaque pas, lorsque l’on étudie ce monde extraordinaire. Celui-là était un épicurien qui buvait les caves ; d’autres, plus avisés, savaient les exploiter. Le 19 mai, un capitaine des francs-tireurs de la république, escorté d’environ cent cinquante hommes, s’empara d’une maison située à Passy dans la grande rue, n° 13 ; il en fit ouvrir tous les appartemens, et y installa une partie de sa troupe. Peu de temps après, un simple fédéré, ancien employé de commerce, nommé Bernard M., vint s’établir dans une boutique du rez-de-chaussée, en compagnie d’une femme qui n’avait rien de légitime. Ce Bernard M. était un homme pratique et le prouva. Il déménagea tout le vin qu’il découvrit dans les caves appartenant aux locataires, le fit apporter dans la boutique dont il avait pris possession, et ouvrit simplement un débit de boisson. Ses affaires n’allaient pas mal ; il encaissait d’assez bonnes recettes, car il ne faisait pas crédit et ne vendait qu’au comptant. Cela dura deux jours ; le 21 mai, dans la soirée, il fallut abandonner précipitamment ce petit négoce improvisé, car les Versaillais arrivaient. Ils arrivèrent même si vite que Bernard M. fut arrêté[1].

  1. Affaire Constant B. ; déb. contr., quatrième conseil de guerre, 19 juillet 1873. — Affaire Bernard M., déb. contr., vingtième conseil de guerre, 25 avril 1872.