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carrière d’écrivain, ne composant pas encore des œuvres personnelles, mais traduisant Pope, Cicéron et Tacite. Ses seuls écrits originaux étaient ses chansons, Ils vivaient tranquilles, unis, presque heureux, attendant la fin de cette tragédie dont le dénoûment était prévu, et la nouvelle de la bataille de Waterloo vint les y trouver. En même temps que l’abdication de Napoléon, ils apprenaient que M. de Rémusat était nommé préfet de la Haute-Garonne, par ordonnance du 12 juillet 1815. Cet emploi convenait parfaitement au mari, en le faisant rentrer dans l’administration qu’il aimait, sans l’obliger à la parade des cours, mais plaisait moins à la femme, qui regrettait Paris et ses amitiés, et redoutait les agitations de la ville de Toulouse livrée à la violence du royalisme du Midi, à la terreur blanche, comme on disait alors. Le nouveau préfet s’y rendit aussitôt, et y apprenait en arrivant l’assassinat du général Ramel, qui avait pourtant arboré le drapeau blanc au Capitole. Tant est grande l’injustice et la violence des partis, même triomphans, surtout triomphans ! Mais, tout intéressant que soit cet épisode de nos troubles civils, il n’est pas nécessaire d’y insister. Il s’agit ici non du préfet, mais surtout de Mme de Rémusat. Celle-ci, un peu inquiète des événemens, et peut-être, craignant la vivacité des opinions de son fils, médiocrement compatibles avec une situation officielle, permit à celui-ci de revenir à Paris, ce qui lui convenait fort. Alors commença entre eux une correspondance qui les fera tous deux mieux connaître, et en apprendra peut-être plus sur l’auteur de ces Mémoires que ces Mémoires mêmes.

C’est pourtant de cet ouvrage seulement qu’il s’agit ici, et il n’est pas nécessaire de raconter en détail les mois, même les années qui suivirent cette année 1815. Inaugurée dans un jour sanglant, l’administration du département fut très difficile pendant dix-neuf mois. Tandis qu’à Paris, le fils, vivant dans une société très libérale, arrivait à un royalisme constitutionnel très avancé, qui n’était plus guère que tolérant envers les Bourbons, le père subissait d’une société fort différente un effet tout semblable, et, par ses actes et ses propos, se plaçait au premier rang parmi les fonctionnaires les moins royalistes, les plus libéraux, du gouvernement royal. Il était modéré, ami des lois, équitable, point déclamateur, point aristocrate, point dévot. La ville de Toulouse était à peu près le contraire de tout cela ; il y réussit cependant, et y a laissé de bons souvenirs qui disparaissent peu à peu avec les hommes, mais dont mon père a plus d’une fois retrouvé la trace. Ces premiers temps de liberté constitutionnelle, même en une province peu destinée à en pratiquer hardiment les théories, sont curieux. A la lueur de cette liberté s’éclairait ce que l’empire avait laissé dans l’ombre. Tout renaissait : les opinions, les sentimens, les rancunes, les passions, la