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dans ma tête, et que je veux faire passer dans la vôtre, au bon emploi que je veux faire du temps que je vois courir, et prêt à vous emporter loin de moi. Quand je croirai être arrivée au moment de l’abdication de tous les avertissement alors nous causerons mieux ensemble l’un et l’autre pour notre plaisir, échangeant nos réflexions, nos remarques, nos opinions sur les uns et les autres, et cela franchement, sans craindre de se fâcher mutuellement, enfin dans toutes les formes d’une amitié fort sincère et toute unie de part et d’autre, car je me figure qu’elle peut très bien exister entre une mère et son fils. Il n’y a pas entre votre âge et le mien un assez long espace pour que je ne comprenne votre jeunesse, et que je ne partage quelques-unes de vos impressions. Les têtes de femme demeurent longtemps jeunes, et dans celles des mères il y a toujours un côté qui se trouve avoir justement l’âge de leur enfant.

« Mme de Grasse m’a dit aussi que vous aviez quelque envie pendant ces vacances de vous amuser à écrire quelques-unes de vos impressions sur bien des choses. Je trouve que vous avez raison ; cela vous divertira à revoir dans quelques années. Votre père dira que je veux vous rendre écrivassier comme moi, car il est sans façon, monsieur votre père ; mais cela m’est égal. Il me semble qu’il n’y a nul mal à s’accoutumer à rédiger ses idées, à écrire seulement pour soi, et que le goût et le style se forment de cette manière. Parce qu’il est, lui, un maudit paresseux qui n’écrit qu’une lettre en huit jours…, il est vrai qu’elle est bien aimable, mais enfin c’est peu…, suffit ! qu’il ne me fasse pas parler.

« Dans ma retraite j’ai eu, moi, la fantaisie de faire votre portrait, et si je n’avais pas eu mal à la gorge, je l’aurais essayé. Je crois qu’en y pensant, et en trouvant que, pour n’être point fade, et enfin pour être vraie, il fallait bien indiquer quelques défauts, le mal que j’étais obligée de dire de vous m’a prise au gosier, et que c’est là ce qui m’a donné une esquinancie, parce que je n’ai jamais pu le mettre au dehors. En attendant ce portrait, et en vous dévidant avec soin, je vous ai trouvé bien des qualités tout établies, quelques-unes qui commencent à poindre, et puis de petits engorgemens qui empêchent certains biens de paraître. Je vous demande pardon de me servir d’un style de médecine, c’est que je suis dans un pays où il n’est question que d’engorgemens, et du moyen de les faire passer. Je vous défilerai tout cela un jour que je serai en train, et seulement aujourd’hui je ne toucherai qu’à un point. Voici ce qu’il me semble par rapport avec ce que vous êtes vis-à-vis des autres : Vous avez de la politesse, même plus qu’on n’en a souvent à votre âge, et beaucoup de bonne grâce dans l’accueil, dans les formes, dans la manière d’écouter. Conservez cela. Mme de Sévigné dit que le silence approbatif annonce toujours beaucoup d’esprit