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lui sur tant de champs de bataille l’écharpe huguenote. On l’a du moins accusée d’être l’auteur d’une très cruelle et amère satire intitulée : « Apologie pour le roi Henri IV, envers ceux qui le blâment de ce qu’il gratifie plus ses ennemis que ses serviteurs, faite en l’année mil cinq cent quatre-vingt-seize (1596)[1]. »

L’auteur de ce pamphlet conseille ironiquement à ses lecteurs de ne pas être des amis d’Henri, mais de se mettre de ses ennemis, ce qui est le seul et sûr moyen d’obtenir et son amitié et ses faveurs. Henri IV avait acheté chèrement la paix du royaume : il y avait peut-être un peu de légèreté, il y avait aussi beaucoup de patriotisme dans son oubli facile du mal et du bien qu’on lui avait fait. Si l’on en croyait l’auteur de l’« Apologie, » le roi aurait eu plus de plaisir à récompenser la trahison que la fidélité, le mensonge que la droiture; il n’aurait eu de complaisance que pour ce qui en méritait le moins; il aurait enfin trouvé un véritable plaisir dans l’ingratitude et dans la perfidie. On n’a jamais eu la preuve que Mme de Rohan fût l’auteur de cette méchante satire. Le roi toutefois semble l’avoir toujours un peu redoutée.

L’Étoile raconte qu’un jour (le 3 février 1595) Henri IV attendait les ambassadeurs de Venise. « Sa Majesté en les attendant passa le temps à rire et gausser les dames. Voyant venir Mme de Rohan leur dit: Voici venir Mme de Rohan, gardez-vous, mesdames, qu’elle ne crache sur vous; pour le moins, si elle n’y crache, elle en médira[2]. »

La faveur du duc de Mercœur fut bien faite pour irriter la duchesse de Rohan, qui s’était vue chassée par lui de la Bretagne. Aussitôt après la reprise d’Amiens, Mercœur ayant su que le roi s’avançait pour assiéger Dourlens et devait passer par Angers, commença à faire négocier son traité par sa femme Marie de Luxembourg et par la duchesse de Beaufort. Le duc et la duchesse de Mercœur offrirent au roi leur fille unique, riche héritière, pour en disposer en faveur du prince de son choix, devinant bien qu’il en disposerait pour son bâtard César de Vendôme; le duc se jeta entre les mains du roi, et le 28 mars 1598 il alla le saluer à Angers. Dès le lendemain, on signa au château d’Angers le contrat de mariage du petit César, âgé de quatre ans, avec Françoise de Lorraine,

  1. Une note de la bibliothèque de l’abbaye royale de Saint-Germain-des-Prés, f° 88, du manuscrit 1504 parmi ceux du chancelier Séguier, dit : « Invective avec ironie, dressée par Mme de Rohan, mère du duc de Rohan, contre le roi Henri IV, contre lequel elle était piquée de ce qu’il n’avait pas épousé sa fille, depuis mariée au duc des Deux-Ponts; et de ce qu’il n’avait pas la maison de Rohan en la considération qu’elle croyait mériter et ne lui faisait pas assez de bien. » (Journal d’Henri IV, La Haye, 1744, t. IV, page 468.)
  2. Journal d’Henri IV, I, 2, page 187.