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prêt sur tout ; et on retrouvera rassemblées dans ce volume nombre de pages charmantes, aimables, d’un ton vif, léger, ému et d’une pensée quelquefois profonde, qui ont droit à une place dans la littérature française. Comme directeur de l’École normale, dans les discours de rentrée solennelle, en présence du ministre et des élèves, M. Bersot émet des principes de gouvernement qui pourraient avoir des applications plus étendues et s’appliquer plus haut. Nos hommes d’état devraient venir apprendre la politique à l’École normale ; ils y verraient appliquer l’art de rendre l’innovation douce et la conservation large, de marier la discipline et la liberté, l’ancien et le nouveau. C’est ainsi qu’il explique dans la perfection comment on entend à l’École normale l’histoire, la philosophie et les lettres, comment dans chacune de ces branches on peut introduire un esprit nouveau sans rien compromettre d’essentiel et sans sacrifier nos meilleures traditions. En histoire, il encourage l’étude des sources et le maniement « des instrumens de précision. » Mais il pense que « ce n’est pas manquer à la dignité de l’histoire de la faire lisible, de lui donner la clarté, le mouvement, la vie. » Quant à la philosophie, il invite « à oser » et en même temps « à se contenir. » Il reconnaît que la philosophie présente « ose beaucoup » et que « l’habileté avec laquelle on détruit et on construit donne des éblouissemens. « Il n’est pas, dit-il, sans inquiétude sur « ces prestiges. » Mais après tout l’audace convient à la jeunesse, et les jeunes philosophes « ont auprès d’eux des conseillers pour les avertir de prendre garde. » Quant à la littérature « pendant longtemps elle a paru un art ; aujourd’hui elle paraît surtout une science. » Il ne faut pas négliger « l’étude scientifique du français, » mais, « au risque de paraître surannés, nous nous essayons à l’École à composer et à écrire. » Ainsi sur tous les points graves, M. E. Bersot dans le gouvernement de notre jeune école universitaire maintient l’essentiel en ouvrant les voies aux sages nouveautés. « Il ne faut réformer que pour conserver. »

A côté du philosophe, du journaliste, du directeur pédagogique, on pourrait encore trouver dans le livre de M. Bersot une quatrième personne, l’académicien, et ce serait une agréable étude de chercher comment cet esprit personnel et indépendant s’arrange avec les solennités académiques : contentons-nous de dire qu’il n’en est nullement embarrassé, et qu’il est toujours le même, sensé avec malice, et naturel avec grâce.


PAUL JANET.

Le directeur-gérant, C. BULOZ.