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certains républicains, de cette éclipse momentanée des influences modératrices dans nos affaires.

Eh bien ! on en dira ce qu’on voudra, c’est là justement la cause, au moins une des causes de cette confusion qui va en croissant depuis quelques mois, qui reste le plus singulier comme le plus dangereux phénomène du moment. C’est le principe de cette désorganisation de vie publique où l’on finit par n’avoir plus ni direction, ni point d’appui. Ces opinions modérées, dont certains républicains ont cru si présomptueusement pouvoir se passer et qui se sont un peu prêtées elles-mêmes à leur propre défaite, elles étaient la force d’équilibre, l’élément consistant et solide d’un régime dont l’instabilité est le piège et la faiblesse, dont les entraînemens sont le perpétuel danger. Elles se sont effacées en effet, comme on le voulait, et en s’effaçant elles ont laissé une sorte de vide dans une situation sans garanties, sans limites définies, dans une situation où tout semble devenu possible et où rien n’est possible. Ce n’est point, entendons-nous bien, que la modération, qui est une des formes de l’esprit de gouvernement, ait disparu subitement des conseils. Elle est, nous n’en doutons pas, à l’Elysée, dans les intentions de M. le président de la république. Elle est représentée dans le ministère par des hommes comme M. Waddington, M. Léon Say, M. Le Royer, M. de Freycinet, qui ne se prêteraient pas à de périlleuses violences ; elle était l’autre jour dans les paroles de M. le ministre de la marine résistant à de puériles pressions de parti et revendiquant avec une si énergique droiture les droits de son initiative aussi bien que les devoirs de sa responsabilité. La modération, elle est par momens jusque dans cette chambre où s’entre-choquent tant d’élémens flottans ; elle est dans les instincts, même quand elle n’est pas toujours dans les actes ou dans les votes. Il y a une limite qu’on ne dépasserait pas, qu’on voudrait du moins ne pas dépasser : il y a encore un sentiment public, une sorte d’influence générale qui contient tout ; mais les opinions modérées sérieusement coordonnées, réunissant une majorité et un ministère sous un même drapeau, servant de force régulatrice, animant une politique, soutenant et caractérisant une situation, c’est lace qui n’existe pas, et c’est parce que ces conditions de gouvernement se sont affaiblies que tout va si visiblement au hasard. C’est parce qu’il n’y a ni la fixité, ni les garanties d’une direction sérieuse et précise que la politique n’est plus qu’une série d’oscillations énervantes entre l’imprévu de la veille, et l’imprévu du lendemain. Les républicains habiles qui ont préparé ce résultat en évinçant autant qu’ils l’ont pu les influences modératrices peuvent triompher, ils en ont bien le droit, — et si ceux qui sont restés obstinément modérés voulaient prendre leur revanche, ils pourraient bien aussi triompher à leur tour au spectacle d’une si étrange confusion : car enfin c’est cela et ce n’est rien que cela ; on s’agite dans la confusion, au milieu de toute sorte de