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parler d’affaires ; bref à faire quelque chose jusqu’à trois heures sonnées ; alors on reschauffait tout ce qu’on avait servy et on disnoit. » C’était, en effet, « une grande rêveuse, » fort distraite, amoureuse des sciences mathématiques[1], écriveuse, toujours la plume à la main, vivant entourée de chats ; bienfaisante, d’un courage tout viril, moqueuse à l’occasion, parfois avec méchanceté, souvent fiévreuse, avec des découragemens qu’elle appelait ses « traîneries » qui ne duraient pas longtemps ; un caractère, en un mot, tendu à l’héroïque et au bizarre. Elle a écrit beaucoup, traduit des auteurs anciens, notamment Isocrate. (La Croix du Maine dit qu’on n’a jamais imprimé cette traduction.)

Le duc de Mercœur[2], à la faveur des troubles, s’était rendu tout à fait indépendant en Bretagne : il affichait l’ambition de succéder aux anciens ducs. Il avait fait comme le duc de Nemours dans le Lyonnais et dans une partie de la Bourgogne, comme Joyeuse en Languedoc, comme d’Épernon en Provence.

Après la déroute d’Angers, le château de Blain était resté sans défense, et le duc de Mercœur, qui commandait la ligue en Bretagne, y avait mis garnison. Mme de Rohan s’était retirée au Parc en Poitou, où Mercœur lui fit dire qu’il la laisserait jouir du revenu de toutes ses fermes de Bretagne.

En 1588 (ou 1589), un gentilhomme breton catholique, nommé Le Goust[3], allié aux Rohan, entra dans le château par surprise : le capitaine ligueur qui y tenait garnison avec six soldats seulement dut s’enfermer dans une tour et capituler. Le Goust, avec quarante-cinq hommes, fut immédiatement assiégé par Guébriand, envoyé par le duc de Mercœur, avec six cents arquebusiers. Le premier siège, dont d’Aubigné raconte tous les détails, fut bientôt levé. Le Goust fortifia le château, et saccagea tout à l’intérieur dans l’intérêt de la défense. Il devint pendant quelque temps le maître de

  1. Viète lui a dédié son Analyse mathématique restaurée, imprimée à Tours en 1591 : « C’est à vous, auguste fille de Mélusine, que je dois surtout mes études de mathématiques, auxquelles m’a poussé votre amour pour cette science, la très grande connaissance que vous en possédez et même ce savoir en toutes sciences que l’on ne saurait trop admirer dans une femme de race si royale et si noble. »
  2. Le duc de Mercœur et sa femme possédaient les immenses domaines de la maison de Penthièvre, situés dans les diocèses de Dol et de Saint-Brieuc. Ces domaines, on le sait, passèrent plus tard, en 1598, à César de Vendôme, fils naturel d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées, par son mariage avec la fille et unique héritière du duc et de la duchesse de Mercœur. Henri IV réunit ainsi indirectement à la couronne le domaine du dernier ligueur, le plus vaste domaine privé qu’il y eût en France.
  3. Jean de Montauban, seigneur du Goust, du nom d’un petit manoir près de l’étang de Cordemais, descendait de la famille des Rohan : il portait de gueules à sept mâcles d’or, au lambel de quatre pendans d’argent.