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dans Galien. Relativement au P. Sarpi, il est clair qu’il n’a pas découvert les valvules ; mais il parle d’un grand secret qu’il ne faut révéler à personne : et on peut, avec M. Tollin, supposer qu’il s’agit de la circulation du sang découverte par Servet, et regardée comme un secret diabolique, émanant de Servet l’hérésiarque et le confident du diable. Carlo Ruini (de Bologne), dans un Traité de l’anatomie du cheval par le de la circulation pulmonaire, comme Servet et Colombo, en 1598. Il en est de même d’Eustachio Rudio, professeur à Padoue, qui parle aussi de la circulation pulmonaire en 1600 ; de Jean de Valvèdre (Anatome corporis humani, 1556), et de beaucoup d’autres dont je n’ai pas à citer les noms, car la question historique est jugée. Il est impossible de ne pas remarquer quelle part importante les anatomistes italiens, et spécialement l’école de Padoue, ont à la découverte de la circulation du sang, et il faut ne pas oublier que Harvey étudia pendant quatre ans à Padoue.

Toutes ces découvertes, antérieures à Harvey, ne diminuent pas la gloire de ce grand homme. Il n’y a que bien peu de découvertes jaillissant tout entières du cerveau d’un seul homme, comme Minerve sortit tout armée du front de Jupiter. Elles sont préparées, mûries, pressenties depuis longtemps ; puis un homme arrive qui réunit les faits épars, reprend, discute, éclaircit les idées confuses de ses prédécesseurs inconsciens, et enfin établit la vérité. Tel a été le rôle de Harvey. Certes, parmi les élèves de Fabrice à Padoue, plus d’un, qui connaissait les valvules et la circulation pulmonaire, qui avait lu Servet, Colombo, Césalpin, a dû penser à la circulation, imaginer cette chose magnifique, le circuit perpétuel du sang, des artères aux veines, des veines au cœur, du cœur au poumon, du poumon au cœur et aux artères ; nul n’a fait le livre que Harvey publie en 1629.


IV

Ce qui caractérise ce livre, le plus beau de la physiologie, dit Flourens, c’est que c’est un adieu définitif aux théories, aux dissertations théologiques, métaphysiques, scolastiques. Harvey ne croit qu’à l’expérience, au phénomène visible, expérimental : c’est là sa supériorité sur Servet. Entre la Christianismi Restitutio et le traité De circulatione sanguinis et motu cordis, il y a l’abîme qui sépare, au point de vue scientifique, le moyen âge de l’âge moderne[1] Servet ne fait pas d’expérience : il dit que le sang

  1. Le Novum organum apparut en 1620. Ce n’est que neuf ans après que parut le Traité de la circulation du sang. Toutefois, depuis douze ans au moins, Harvey professait la théorie de la circulation. L’œuvre de Bacon n’a donc pas eu, vraisemblablement, d’influence immédiate sur l’esprit de Harvey. Néanmoins il finit remarquer ces deux dates. Le Novum organum est pour ainsi dire l’apothéose de la méthode expérimentale. Le livre de Harvey fait mieux : il en démontra les avantages.