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latin finissant et le français qui commence ne se sont enchevêtrés l’un dans l’autre d’une façon plus bizarre que dans ces « farcitures. » Faut-il ajouter la faiblesse ou le ridicule des inventions ? l’âne de Balaam prenant sa part du dialogue ? ou Darius, roi des Perses, annonçant ses volontés en ces termes :

Ego mando
Et remando
Ne sit spretum
Hoc decretum
Ohé !


la grossièreté du dialogue, l’irrévérence des scènes comiques intercalées dans le drame sacré, quelques-unes poussées jusqu’à la dérision sacrilège ? A quoi veut-on dans tout cela que notre curiosité, que notre sympathie se prennent ? Évidemment ce sont encore les spectacles d’un peuple enfant, que l’on surprend par la brutalité naïve des émotions, que l’on soulève par le gros rire, que l’on enchante par l’éblouissement des yeux et par les splendeurs de la mise en scène. Car, comme il n’est pas inutile de le remarquer, cette partie matérielle de l’art dramatique a reçu de bonne heure en France le plus curieux développement. Le luxe gothique s’y donne pleine carrière. Dans les Actes des apôtres ce sont jusqu’aux portefaix, mendians, voleurs et autres « beslistres » que l’on habille tout de velours. Il y a même déjà des machines. Dans le Mystère d’Adam on établissait le paradis sur un échafaud tout entouré de « courtines et de tentures de soie. » Il était tout rempli d’arbres chargés de fruits « de plusieurs espèces, comme cerises, poires, pommes, figues, raisins et telles choses artificiellement faites. » Au milieu, pour l’ébahissement du populaire accouru, le serpent « artificiose compositus, » — ingénieusement fabriqué, : — s’enroulait autour de l’arbre de la science du bien et du mal. Je ne m’étonne pas que de vingt et trente lieues à la ronde la foule se portât à de semblables spectacles. Elle y trouvait ce que la foule de nos jours va demander aux scènes du boulevard, — de quoi frissonner et pleurer comme à nos mélodrames ; — de quoi rire, comme aux grosses plaisanteries du vaudeville et de l’opérette ; — mais surtout, comme aux féeries, la vision passagère de ces splendeurs fantastiques et de ces aventures prodigieusement invraisemblables dont les rêves du pauvre sont toujours et partout hantés.

N’insistons pas inutilement. On ne défend pas ou du moins on ne s’est pas avisé jusqu’ici de défendre sérieusement la valeur littéraire des mystères. Les hommes de bonne volonté semblent eux-mêmes y avoir, pour le moment, renoncé. Sans doute ils continuent de publier des textes ; ils reconnaissent du moins « que l’art est