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que la pacification d’Henri IV n’avait été qu’une trêve, que lui-même avait dû traiter pour porter la couronne, abjurer, combler de bienfaits ses ennemis. Lui disparu, chacun suivit la pente naturelle de son ambition : il se fit une sorte de nuit dans laquelle les grands marchèrent à tâtons, cherchant quelque chose où se prendre. La cour devint méprisable ; les puissans gouverneurs rêvèrent tous de devenir indépendans, de se faire de petits royaumes où la parole des ministres aurait peine à parvenir. Lesdiguières, en pratiquant le duc de Savoie, avec lequel il traitait presque comme avec un égal, avait gagné quelque chose de la finesse d’une race toujours occupée à opposer et à peser les alliances. Il savait prendre : toujours sollicité des églises et de la cour, il poussait sa propre fortune ; son rôle d’entremetteur politique devait lui valoir enfin l’épée de connétable. La Force, d’humeur plus généreuse, témoin des derniers momens d’Henri IV, défenseur sincère de la reine mère et du dauphin, si fidèle d’abord à la cour qu’il devint presque suspect aux siens, fut jeté presque de force dans la guerre civile.

D’Épernon, d’âme dure et perverse, se fit une joie cruelle de frapper après la mort d’Henri IV tout ce que celui-ci avait aimé et servi. Il ne chérissait rien lui-même que ses haines ; il servit la veuve d’Henri IV par haine d’Henri IV ; son alliance était aussi redoutable que son inimitié.


III

Les calvinistes avaient joui tranquillement sous Henri IV des immunités que leur avait données l’édit de Nantes. Cet édit était la charte d’une liberté bien chèrement achetée. Elle stipulait la liberté de l’exercice du culte protestant : 1° dans les châteaux de seigneurs hauts justiciers, au nombre de trois mille cinq cents, et dans trente châteaux de gentilshommes ne jouissant pas de la haute justice ; 2° dans deux endroits par bailliage ou sénéchaussée ; 3° dans les villes et villages, fort nombreux, où l’exercice public de la religion s’était introduit jusqu’en 1597. Il était pourvu aux appointemens des ministres et des régens des collèges par l’allocation d’une somme de 165,000 livres et par la permission de recevoir des donations et legs. Le culte de la religion restait interdit dans les grandes villes de la ligue. Il était défendu à cinq lieues de Paris, il ne fut autorisé d’abord qu’à Ablon, qui est à quatre lieues, et à Charenton qui est à deux lieues. Prohibé dans le bailliage de Rouen, il fut établi par tolérance à une demi-lieue de cette ville sous Henri IV. Les religionnaires obtinrent les mêmes droits civils que les catholiques. Il