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Le comte de Soissons se jeta dans le parti espagnol. « Ce jour, raconte L’Estoile, M. le comte de Soissons, étant dans sa chambre, où il y avait plus de trente à quarante gentilshommes, menaça de donner de son poignard dans le sein au premier qui serait assez hardi de dire que les jésuites avaient fait mourir le roi[1]. » Il s’unit fortement à d’Épernon. Il traitait la France en pays conquis. « La compagnie du comte de Soissons, ayant séjourné huit jours seulement à l’entour de Dreux, y fait tort de six-vingt mille francs. L’avoine étant faillie, mettent leurs chevaux dans les bleds et se font traiter en rois[2]. » Le comte de Soissons courait les rues de Paris avec une jeune noblesse insolente qui semblait avoir secoué le joug d’un maître et voulait recommencer le temps des Valois.

Le nom des Guise n’était pas encore oublié, et le parti espagnol fondait toujours sur eux des espérances.

Pendant tout le règne d’Henri IV, le duc de Guise[3] s’était tenu coi dans son gouvernement de Provence. Il se trouva tout prêt à Paris, comme par hasard, à cheval, au passage du duc d’Épernon, quand on porta Henri IV de la rue de la Ferronnerie au Louvre. Il embrassa d’Épernon. Il se promena à cheval dans les rues « aussi prodigue de bonnetades au peuple de Paris, comme feu son père passant par la rue Saint-Honoré, et y saluant tout le monde. Une femme alla lui dire : « Nous n’avons que faire de tes salutations ; celles de ta famille nous coustent trop cher. » La régente lui avait donné dès les premiers jours 200,000 écus.

Ce tableau du monde agité, dont toutes les forces allaient lutter contre la pure et jeune ambition d’Henri de Rohan, ne serait pas complet si nous ne parlions de ces seigneurs hardis qui, tout pénétrés encore du vieil esprit féodal, avaient réussi, même sous Henri IV, à rester à demi indépendans dans leurs gouvernemens. La Force en Béarn, d’Épernon en Guienne, Lesdiguières dans le Dauphiné, étaient, comme le duc de Bouillon à Sedan, les propres juges de ce qu’ils croyaient devoir à l’état et de ce qu’ils croyaient devoir à leur propre intérêt. La fidélité monarchique n’avait pas encore pris la forme d’une religion ; on s’armait contre le roi au nom de la royauté : les mécontens affectaient d’entreprendre sa délivrance quand ils avaient à se plaindre eux-mêmes des ministres et des favoris. On ne comprenait la fidélité que comme un échange de services, et le droit naturel de la force semblait le recours légitime contre les droits de l’état. Il faut se souvenir qu’on sortait de longues et sanglantes guerres civiles,

  1. L’Estoile. — Journal d’Henri IV, t. IV, p. 172.
  2. L’Estoile. — Journal d’Henri IV, t. IV, p. 192.
  3. Charles de Lorraine, duc de Guise.