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Les protestans mirent un moment tout leur espoir dans Condé, élevé presque de force dans la religion catholique, et dans le duc de Bouillon. Ils les regardaient, pour ainsi dire, comme des alliés naturels. Une union intime entre ces deux personnages eût été d’autant plus nécessaire à leur cause que les autres princes du sang étaient le prince de Conti, qui était à peu près imbécile, et le comte de Soissons. Le comte de Soissons, Charles de Bourbon-Conti, fils du prince de Conti et de Françoise d’Orléans (la fille de François d’Orléans, marquis de Rothelin, et de Jacqueline de Rohan), avait prétendu à la main de Catherine de Navarre, sœur d’Henri IV. Elle avait agréé sa poursuite et avait échangé avec lui par écrit des promesses de mariage à Pau, quand le parlement de Pau, par ordre du roi, s’était saisi du château, avait renvoyé le comte de Soissons et donné des gardes à la princesse. Celle-ci avait écrit à son frère pour se plaindre ; il la manda à Saumur, où elle le joignit en 1593. Elle se soumit aux volontés de son frère et porta elle-même le comte de Soissons à renoncer à sa main. Le comte continua cependant à rendre des devoirs à la sœur du roi, et à la voir à son insu. Henri IV avait pour lui une véritable antipathie, bien qu’il l’eût nommé grand maître de France, à cause de son rang. Sully et le comte de Soissons étaient ennemis depuis que le premier s’était chargé de rompre le mariage de la sœur du roi avec le comte. Celui-ci ne voulut pas assister au sacre de la reine (1610) ; il était mécontent du roi, mais il couvrit sa mauvaise humeur d’un scrupule d’étiquette et se plaignit qu’on voulût laisser porter à la femme du duc de Vendôme, fils naturel du roi, une robe semée de fleurs de lys. Il était dans une de ses maisons quand il apprit le crime de Ravaillac. Dès qu’il sut que la reine avait été déclarée régente, il jeta feu et flammes. Il se plaignit qu’on eût laissé au parlement le soin de l’établissement d’une régence qu’il prétendait ne pouvoir être établie que par le testament des rois ou par des états-généraux ; qu’en tout cas, le parlement ne pouvait rien sans les princes du sang, les ducs et les pairs.

Il alla toutefois au Louvre saluer la reine ; le grand bruit qu’il avait fait auprès des ministres nouveaux était surtout pour obtenir 50,000 écus de pension, le gouvernement de Normandie, le paiement d’une dette de 200,000 écus (dus au duc de Savoie pour Moncalieri, qui était à sa femme), la survivance du gouvernement du Dauphiné et de la charge de grand maître pour son fils qui n’avait encore que cinq ans ; tout cela fut accordé. Sully alla s’humilier devant lui et s’excuser bassement de n’avoir travaillé que par les ordres du roi à empêcher son mariage avec Catherine de Navarre. Le comte de Soissons fit semblant de le croire : le mensonge était sur toutes les lèvres.